InterviewG4E. Bruno Fievet traite de son plan de financement, du dépôt de bilan évoqué, du projet “identitaire”, et de ses motivations

    Bruno Fievet nous avait accordé une première interview afin de se présenter auprès des supporters des Girondins de Bordeaux, son nom étant sorti dans la presse (et Sud Ouest pour être précis). Mardi, France Football sortait les chiffres du financement de l’éventuel rachat du FCGB. Nous avons voulu en savoir plus et nous nous sommes entretenus avec Bruno sur le sujet, mais également bien d’autres thèmes. Comme vous le savez certainement, une lettre d’intention a été envoyée à King Street, mais celle-ci demeure encore sans réponse. Nous allons donc aborder la question, revenir plus en détails sur le plan de financement, tout essayant de rassurer les supporters bordelais sur le dépôt de bilan évoqué comme possibilité par L’Equipe. Entre autres. Une version audio de cet entretien est disponible en bas de page. Interview.

     

    Il y a cette lettre d’intention que vous avez pu envoyer auprès de King Street. Comment expliquer qu’il n’y a pas encore de réponse à l’heure actuelle ?

    Malheureusement, je n’ai pas la réponse, mais que des idées. La première chose c’est que, comme l’a répété à maintes reprises le Président Longuépée, ils ne sont pas encore dans l’optique de vendre, donc pas forcément enclins à discuter. Ensuite, il est vrai que j’ai beaucoup parlé dans la presse et que ça peut les gêner et les refroidir, ce que je pourrais comprendre. Mais en même temps, je rappelle que quand mon nom est sorti, ce n’était pas ma volonté. Je n’ai fait que rebondir sur des infos qui avaient été données, et j’ai utilisé mon droit de parole pour répondre quand on m’interrogeait, mais je n’ai pas forcément communiqué moi-même. Ça peut être les deux raisons, soit parce que ce n’est pas encore dans le timing, soit parce que j’ai un peu dérangé avec mes sorties médiatiques.

     

    Il y a un article de France Football qui est paru ce mardi qui détaille le financement de l’éventuel rachat des Girondins de Bordeaux. Est-ce qu’on pourrait le détailler point par point ? Trois lignes ressortent au niveau du financement. On parle premièrement d’industriels bordelais qui seraient concernés par le club à hauteur de 20-30 millions d’euros ?

    Aujourd’hui, ça, c’est une réalité. Il n’y a pas une personne, à ma connaissance, qui a envie de mettre dans l’écosystème bordelais 150 millions d’euros sur la table, pour racheter les Girondins. Par contre, il y a beaucoup d’amoureux du club qui sont prêts à participer. Certains m’ont contacté en direct, d’autres via des partenaires ou des connaissances. Il y a plusieurs personnes qui sont intéressées pour investir dans les Girondins. Sachant que pour nous, ce sont plutôt des tickets d’entrée à 2-3 millions, cela peut être même moins. Je suis toujours dans la même optique, pour qu’il n’y ait pas un majoritaire, et qu’on se retrouve dans une situation comme on était avec GACP et King Street, un majoritaire qui pourrait dire à tout moment ‘on arrête le projet, c’est moi qui reprends les rênes’, donc un actionnariat dilué, de personnes intéressées et amoureuses du club. Après, forcément, à ce stade, on ne sortira pas de noms par respect pour les gens, ce que j’ai toujours refusé de faire. Et ce n’est pas très important à ce niveau.

     

    Il y a de l’immobilier, du vin, et de l’écologie, un système qui vous tient à cœur ?

    Alors, ce ne sont pas que des gens qui sont dans ces secteurs-là. Ça, ce sont dans les secteurs annexes dans lesquels on veut investir. Je le dis depuis le départ, on ne gagne pas d’argent à court terme sur le football, il faut trouver pour les investisseurs d’autres moyens d’être visibles et gagner de l’argent. Mais les industriels – et des personnes privées d’ailleurs, ce ne sont pas que des industriels – ne sont pas tous dans ces secteurs-là. Ils viennent parfois aussi d’autres secteurs, mais c’est autour de ces secteurs-là qu’il faut capitaliser les forces pour construire un écosystème autour des Girondins de Bordeaux qui soit viable sur du long terme, pas sur du très court terme.

     

    On parle aussi, de ce qu’on peut appeler la plus grosse manne financière, votre portefeuille financier. Comme ça se schématise exactement ?

    On est partis avec mes associés sur un schéma de private-equity, en français capital-investissement. C’est-à-dire que ce ne sont pas des actions cotées, mais des projets où l’investisseur met de l’argent pour gagner à la fin sur un long terme, mais où il n’y a pas des remboursements comme dans les obligations où on doit rembourser tous les ans un certain coupon. Il n’y a pas non plus l’obligation de réussite de ce genre de projet. C’est un plus gros risque pour les investisseurs, et un moins gros risque pour le club. Par contre, cela permet à des investisseurs de se diversifier, d’être aussi visibles. Ces gens, forcément, lorsqu’ils vont investir, ils vont aussi avoir accès aux services qu’offrent les Girondins : de nombreux partenaires, des contacts, un accès au stade avec la possibilité de faire du business et du marketing. Il y a des investissements qui sont avec des intérêts directs, et des investissements qui sont avec des effets indirects, à savoir tout ce qu’on va pouvoir construire autour du projet des Girondins. Là, on est persuadés, avec les clients potentiels, qu’il y a beaucoup de choses à faire à ce niveau-là.

     

    Pour rassurer tout le monde, c’est un état d’esprit qui est différent dans le sens où on n’attend pas forcément un retour immédiat et gros sur l’investissement.

    Tout à fait, on n’est pas dans le preferred shares comme on a aujourd’hui avec le projet qui existe avec King Street, où là il y a des sommes importantes qui doivent remonter au niveau du groupe annuellement, mensuellement, trimestriellement. On est sur de l’investissement risqué, pas de l’investissement garanti. De toute façon, dans cette période de crise, on peut voir qu’il n’y a pas d’investissement garanti. Mais il y a des gens qui sont plus conscients des risques qu’ils prennent. Il faut les expliquer aux clients, leur montrer que la diversification est aussi une chance, et que ça peut apporter d’autres ouvertures que l’investissement direct.

     

    La dernière ligne financement, ce sont les lignes de crédits qui n’ont pas été contractées, mais qui ont été sollicitées. La première question est de savoir à quoi elles vont servir, à hauteur de deux fois 50M€, et la seconde est-ce que la crise actuelle peut éventuellement défavoriser l’accord préalable avec les banques prêteuses ?

    On ne va pas faire de langue de bois, on ne va pas mentir, effectivement, dans cette période de crise qui n’est pas finie et qui est loin d’être finie, on n’est pas du tout à l’abri que dans les trois tranches – dans les investisseurs du microcosme bordelais, ceux de nos portefeuilles ou dans les banques – qu’il y ait un revirement de situation, et qu’il y ait des gens qui ne puissent plus être investis. Pas qu’ils ne veulent plus, mais qu’ils ne peuvent plus être investis à telle hauteur dans un tel projet parce qu’ils ont eu des pertes, qu’ils ont réaligné leurs objectifs et leurs investissements. De toute façon, il faudra attendre la sortie de crise d’abord sanitaire, puis économique, puisque la crise économique perdurera après la crise sanitaire, pour refaire un tour de table et voir qui va être encore intéressé et à quelle hauteur, sur les différents sujets. Pour la banque, c’est presque le cas le plus épineux puisqu’aujourd’hui les banques vont faire marcher les machines à billets pour couvrir l’économie, mais est-ce qu’elles seront toujours enclines de faire des prêts, sachant qu’aujourd’hui elles vont devoir prêter énormément d’argent aux particuliers, aux entreprises, pour aider ? Parce que ce sont bien les banques, au travers des Etats, qui vont aider ces participations. On n’en sait rien. C’est une des grandes inconnues qui nous pose beaucoup de questions et de problèmes. Mais voilà, on est quand même des privilégiés, et on ne va pas se plaindre aujourd’hui de ça. Il y a une vraie inconnue là-dessus, et on verra ça à la fin de la crise. C’est un point important, on n’a aucune garantie que les gens soient toujours dans les mêmes dispositions. C’est pour ça que j’ai bien précisé à France Football que c’était un schéma de montage financier pré-crise.

    Maintenant, pour répondre à la question, de à quoi ça servirait, c’est difficile de répondre. Aujourd’hui, King Street n’est pas vendeur, ça on le sait, mais ça pourrait changer. Je pense que tous les grands groupes d’investissement vont certainement recentrer leur stratégie sur le cœur de métier. Le foot, comme d’autres actifs, ne font pas partie de ce corps de métier. Ils pourraient avoir l’envie ou l’idée de se désengager, ça je leur laisse le soin de se prononcer là-dessus. Mais dans l’optique où ils seraient vendeurs, on ne sait toujours pas beaucoup de choses. C’est combien ils vont en vouloir, quelle sera la dette, le déficit, les contrats des joueurs… La masse salariale ayant explosé, on a vu que Bordeaux, sur un article sorti récemment, vivait au-dessus de ses moyens. Ca permettra certainement d’assainir un petit peu une situation, en revenant à une situation qu’on a connue avant l’arrivée GACP-King Street, avec des personnes en nombre plus raisonnable dans les effectifs administratifs, dans l’équipe réserve où je crois qu’il y a trente joueurs dont une majorité de professionnels que nous ne verrons probablement jamais la Ligue 1. Il faudra un plan de restructuration pour pouvoir ré-influencer une nouvelle dynamique. Cette nouvelle dynamique sera à un certain prix, donc il faudra surement utiliser une partie de ces fonds. Et l’autre partie, ce serait surement, s’il y a une ou deux bonnes affaires à faire sur le marché… Parce que c’est bien beau d’acheter un club, mais si c’est pour ne pas gagner de matches ou avoir une situation sportive qui ne s’améliore pas alors que je prône depuis le début un projet sportif, ça n’aurait pas beaucoup d’intérêt. C’est plutôt une réserve qui permettra de travailler un peu plus sereinement que si on avait les bras et les chevilles attachées à un budget trop serré.

     

    Il s’agit d’une garantie dans le sens où on navigue dans l’inconnu vis-à-vis de la masse salariale, de la dette éventuelle… Des choses qui pourraient donc combler ça pour assainir la situation.

    Voilà. On sait très bien qu’aujourd’hui 70M€, on ne va pas loin. Et surtout quand on reprend un club qui est dans la difficulté. Il faut pouvoir avoir d’autres sources de revenus. On ne peut pas tout demander à nos investisseurs, ils ne sont pas là pour perdre de l’argent non plus. Une des preuves du sérieux, c’est d’avoir affaire à des prêts bancaires, qui ne sont pas délivrés à la légère par les banques. Cela prouve aussi que derrière il y a un projet sérieux qui est construit, et cela pourra libérer de l’argent en fonction de certains ratios qui ont été respectés par notre gestion. Je pense que la gestion, c’est le cœur du problème aujourd’hui aux Girondins de Bordeaux.

     

    Il y a des termes qui sont sortis dans la presse, notamment L’Equipe, des mots qui font peur, comme le « dépôt de bilan ». Quel intérêt il y aurait pour King Street de faire un dépôt de bilan ? Financièrement, il n’y a aucun intérêt à ça…

    Il n’y a pas d’intérêt. En fait, en cas de dépôt de bilan, il y a une relégation automatique qui se fait du club, en Ligue 2 minimum, voire en National. Quand vous déposez le bilan, c’est quand vous n’avez plus d’argent pour assurer le train de vie de votre entreprise, que ce soit un club de foot, une société lambda. En gros, lorsque vous déposez le bilan, la société qui détient les Girondins de Bordeaux ferme, est rayée de la carte, et le club devient à l’abandon. Presque, vous pouvez le racheter pour 1€ symbolique. Mais vous ne le rachetez pas en première division, vous le rachetez en division 2 au mieux, voire en National si la dette est trop importante. La Ligue et les autorités compétentes, la DNCG, pourraient dire que même avec le train de vie des Girondins, ils ne peuvent même pas repartir en Ligue 2, donc ils repartent en National avec un statut amateur. Ce serait catastrophique pour le club, mais ce sont des mots qu’on a lu dans la presse. Je ne peux pas imaginer que ça va arriver. Un club comme Bordeaux ne peut pas et ne doit pas déposer le bilan, comme tous les clubs de Ligue 1 actuels. Avec la crise économique, beaucoup de clubs vont souffrir, mais j’espère que la DNCG sera déjà clémente avec l’ensemble des clubs parce qu’il y a une perte assez grande qui va se profiler. Mais pour en revenir aux Girondins de Bordeaux, je ne peux pas imaginer King Street perdre tout dans la bataille. En plus, je pense qu’il y a quand même au moins deux leviers entre la situation actuelle et un dépôt de bilan. Le premier, c’est de revendre le club à un acheteur. Ça peut être moi ou quelqu’un d’autre. Je rappelle que mon cas personnel n’a pas vraiment d’intérêt. L’important c’est que le club retrouve le standing qui doit être le sien. Si c’est avec un autre qui a plus de moyens et plus de qualités que moi, j’en serai son premier supporter, je le dis vraiment très honnêtement. La deuxième possibilité c’est celle qui est aujourd’hui la plus plausible s’ils ne sont pas vendeurs, c’est qu’à un moment donné c’est Fortress qui va récupérer la propriété des Girondins de Bordeaux, puisque c’est eux qui ont prêté l’argent. Quand vous ne pouvez pas couvrir une dette, c’est celui qui détient la dette qui devient le propriétaire du club. Le scénario le plus plausible dans le cas où King Street n’assumerait pas ses engagements de réduire le déficit auprès de la DNCG. Le scénario le plus plausible serait une reprise par Fortress. Mais, même ce cas-là, il est encore très loin parce qu’aujourd’hui King Street a quand même la possibilité de réinjecter un peu d’argent, la possibilité de faire des ventes dans le mercato qui vont couvrir une partie du déficit. On est encore très loin de cette situation-là. Je pense que les Girondins doivent être rassurés. Ce sont des mots qui font peur mais ce n’est pas du tout dans cet état actuel qu’on doit imaginer notre club. On a d’abord une saison à terminer, du mieux possible. En espérant que l’année prochaine on reparte sur des bonnes bases. Que les droits TV soient livrés tels qu’ils doivent l’être en termes de montants, et qu’après la crise sanitaire il y ait un rebond et un regain d’intérêt, qui fasse que les gens se réintéressent au football, et que les télés payent ce qu’elles doivent payer. Je ne suis pas alarmiste sur ce point-là. J’ai été interrogé par de nombreux supporters là-dessus, et je pense qu’on ne doit pas être inquiet sur ce point-là encore.

     

    On est dans l’inconnu mais il faudra quand même terminer cette saison. Est-ce qu’il y aura quand même des répercussions économiques du fait que cette saison se finisse en différé ? On voit que beaucoup de clubs font baisser le salaire des joueurs. Est-ce que cela peut arriver en France ?

    En France, le salaire, c’est toujours un sujet tabou. Moi qui travaille à l’étranger, je m’en rends compte encore plus que quand je vivais en France. Je pense effectivement que c’est quelque chose d’important, qui devrait être pris très rapidement, la baisse des salaires. Je ne sais pas si ça n’a pas déjà eu lieu aux Girondins. Je sais que le club doit payer 70% des salaires des suites du chômage technique. Certainement que des accords vont être trouvés ou ont déjà été trouvés avec des joueurs, je n’ai pas les informations, mais je trouverais cohérent dans le marasme actuel que les joueurs fassent cet effort-là. Quand on voit la précarité de certains, en tout cas à ce niveau-là, je pense que les joueurs pourraient faire un petit effort sur leurs salaires. En Allemagne, ça s’est fait assez facilement. Je pense qu’on ne doit pas être le canard boiteux de l’Europe, et que les joueurs doivent prendre cet aspect en compte.

     

    Dans vos derniers propos, vous avez axé les choses sur le projet « identitaire » des Girondins de Bordeaux, qui perdraient un peu leur âme. Quels axes exactement ? La formation, du local ?

    La formation, c’est capital. Aujourd’hui, tous les clubs, et même les grands clubs, vont revoir leur stratégie. On ne peut plus axer toute une politique en imaginant qu’on va gagner de l’argent sur des droits TV. On s’est rendu compte en 15 jours que le monde s’est arrêté, que les télés ne veulent plus payer, et donc d’avoir une stratégie uniquement basée sur les droits TV, c’est suicidaire. C’est suicidaire parce que vous n’êtes pas à l’abri d’une pandémie, mais d’une manière générale vous n’êtes pas à l’abri de faire une mauvaise saison. Quand vous faites une mauvaise saison, vous n’avez pas les droits TV qui tombent. La formation, c’est ce qui vous permet de vivre même quand ça va moins bien parce que vous pouvez sortir des jeunes, et je pense qu’il y a un parcours initiatique au niveau des jeunes qui n’est pas fait actuellement aux Girondins, mais pas qu’aux Girondins. Nos jeunes joueurs ne connaissent pas l’histoire de notre club, et ça, c’est déjà un premier problème. Patrick Battiston disait que les gens ne se rendaient pas compte à quel point Marius Trésor est un monument, et je crois que c’est vrai malheureusement. Il y a des joueurs qui arrivent aux Girondins, qui ne connaissent pas l’histoire de notre club, qui ne savent pas ce qu’a fait Alain Giresse, ce qu’a fait Patrick Battiston, qui ne connaissent pas cette génération qui est la première génération à avoir vraiment gagné aux Girondins. Celle qui nous a permis d’écrire cette histoire. Il faut donner cette âme à nos jeunes joueurs parce que sur le terrain, ils doivent porter haut et fort nos couleurs, et pas juste se dire qu’ils sont juste là pour se former et en fin de formation aller jouer dans un autre club. Il faut donner à ces gens ce côté identité, cette envie de se battre pour le maillot. De voir l’amour que porte un garçon comme Cheick Diabaté pour le club, ça dénote quelque chose. On a eu Marc Planus qui a été un amoureux du club, qui y a fait toute sa carrière. Je sais que maintenant c’est difficile de faire toute sa carrière dans un club mais on a aussi des joueurs qui sont partis, qui sont revenus, comme Matthieu Chalmé, et qui portent les valeurs du club. Jaroslav Plasil qui est encore au club. Je pense que ce sont des gens sur lesquels on doit vraiment s’appuyer pour la formation, pour transmettre les valeurs. Ce ne sont pas que des mots de transmettre les valeurs. Il faut donner les moyens. Il faut que vos éducateurs portent en eux ces valeurs, sinon c’est difficile de les transmettre. La formation, c’est important oui, ça doit être le premier centre de recrutement de votre équipe première. En cours de saison, vous avez des pépins, des blessés, un joueur qui est en train de bien jouer avec l’équipe réserve, il faut lui donner sa chance en équipe première ! Cette année, on a sorti zéro joueur, ce n’est pas normal. Ce n’est pas ce qu’on nous a vendu au départ, on nous a dit que c’était un projet avec de la formation, qu’on allait acheter malin. Ça, c’est toujours un truc qui m’a étonné chez Joe DaGrosa, de dire qu’on va acheter malin. Cela voudrait dire quoi, que les autres clubs achètent ‘bête’ ? Non, tous les clubs ont envie d’acheter malin. Et justement, c’est pour ça que c’est compliqué, tout le monde est sur les mêmes joueurs, et si vous voulez être sûrs d’avoir des bons joueurs, il faut les former. C’est la condition sinéquanone. Il y avait des années où on sortait 3-4 joueurs, et aujourd’hui on n’en sort quasiment plus.

     

    On a souvent parlé de développement à l’international des Girondins, mais il faut vraiment se recentrer sur ce qu’on a, nos forces vives, et bâtir sur ça.

    Clairement, l’international c’est très bien quand vous vous appelez Paris Saint-Germain, et que vous avez des grands noms qui font rêver à l’international. Mais si vous n’avez pas une équipe avec des joueurs qui jouent dans les grandes sélections comme la France, l’Italie, l’Espagne, le Brésil, l’Allemagne ou l’Angleterre comme peuvent avoir Paris, vous n’avez pas de valeur à l’international. Ce qui crée la visibilité à l’international, ce sont les joueurs qui composent votre équipe. Aujourd’hui, on est intéressants en Corée parce qu’on a Hwang Ui-Jo dans l’équipe, qui est plutôt pas mal d’ailleurs. On peut être intéressants sur un ou deux pays d’Afrique parce qu’on a des joueurs internationaux comme Youssouf Sabaly, ou François Kamano, quand il ne tournait pas trop mal. Mais c’est tout. Aujourd’hui, on ne peut pas être intéressants sur des grands pays comme la Chine ou les Emirats si on n’a pas des noms ronflants à proposer. Le développement international, c’est une deuxième partie du projet, qu’il ne faut pas négliger, mais qui n’est certainement pas la priorité des clubs à l’heure actuelle, ou en tout cas d’un club comme Bordeaux, c’est évident. Il ne faut pas confondre la marque Bordeaux connue pour le vin, et le foot. Ce sont deux choses qu’il faut distinguer. Je me souviens à l’époque de Claude Bez quand les Girondins étaient une place forte de l’Europe et qu’on allait sur les terrains partout en Europe, on amenait avec nous dans les avions des grandes personnes, des viticulteurs, pour faire des affaires. Mais c’est parce que Bordeaux rayonnait. Sans le rayonnement des Girondins, il n’y a pas d’écosystème qui peut travailler à l’international, ou alors les gens ont déjà leurs contacts. Les grands producteurs bordelais n’ont pas attendu les Girondins pour aller vendre des bouteilles en Chine depuis des années. On ne doit pas tout mélanger là-dessus. Il y a un peu de rêve qui s’est créé et que Joe DaGrosa portait en disant qu’on va vendre du Bordeaux partout à l’international, mais ce n’est pas aussi simple que ça. Entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, il y a parfois une différence qui est fondamentale.

     

    Surtout que le sportif reste la base de tout développement. On ne peut rien faire sans un sportif qui fonctionne.

    Tout à fait. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui. Sur un projet purement commercial, si vous n’avez pas l’adhésion des joueurs, un projet sportif derrière, vous ne faites pas venir les gens au stade, vous créez des conflits entre les supporters, les partenaires et la direction parce que ça ne prend pas le chemin que ça aurait dû prendre. Le projet sportif est fondamental dans un club de football. Le foot, c’est avant tout du sport, avant tout un sport populaire. Il ne faut pas essayer de remplacer ça dans les stades. Aujourd’hui, si vous allez en Angleterre où les stades sont pleins, c’est parce qu’ils ont bien acté sur le côté populaire. Si vous allez au RC Lens, le stade est plein même si vous jouez en semaine en Ligue 2, parce qu’ils ont su garder ce côté populaire. Et on ne remplit pas un stade avec du commercial. Je sais que je me répète sur le sujet, mais vu que la situation ne change pas, je me permets de marteler là-dessus, parce que c’est à mon avis le premier problème de tout le projet actuel.

     

    Vous disiez tout à l’heure qu’en France on avait du mal à parler de salaire, c’est vrai. Je vais venir sur un poste qui peut être potentiellement le votre à l’avenir. On est passé d’un Président bénévole, Jean-Louis Triaud – même si je n’oublie pas l’intermède de Stéphane Martin – à un Président qui est extrêmement bien payé d’après les chiffres sortis dans la presse. Quelle serait votre vision là-dessus, puisque si vous êtes amené à reprendre les Girondins, vous en seriez le Président.

    Oui, tout à fait, c’est un point qui est important, c’est que je ne me vois que comme Président. Je n’ai que cette envie-là en tête, celle de pouvoir mettre en place mon projet, et de le diriger tel que j’en ai envie. C’est uniquement ce rôle aux Girondins que j’aimerais avoir. Le deuxième point, concernant le salaire, aujourd’hui on parle d’un salaire autour de 50000€ pour Frédéric Longuépée. C’est effectivement un très gros salaire. Clairement, si demain je suis Président, je ne serai pas bénévole comme Jean-Louis Triaud l’a été, mais vous pouvez diviser le salaire de Frédéric Longuépée par dix, parce que ce n’est vraiment pas ce qui me motive. Mon unique intérêt est la réussite du club, et avec 5000€ qui me couvriraient les frais… De toute façon, moi, j’ai fait ma carrière, je n’ai pas besoin d’argent pour vivre. On a toujours besoin d’argent pour vivre, mais je veux dire que j’en ai suffisamment pour vivre. Ce n’est vraiment pas quelque chose qui me motiverait. D’ailleurs, on peut le voir en ce moment en tant que confinés, on n’a vraiment pas besoin d’autant de choses qu’on peut l’imaginer de manière générale pour vivre et bien vivre. Pour moi, le salaire n’est vraiment pas un problème et je pense que ce serait aussi l’objectif du Président de montrer l’exemple dans un contexte de récession ou en tout cas de restructuration du club, de ne pas s’octroyer un salaire qui soit trop important par rapport à la fonction, qui à mon avis ne le mérite pas. Alors, j’entends bien qu’il y a des Présidents qui touchaient entre 20 et 30000€. Ça n’a jamais été ma motivation et ça ne le sera jamais. D’ailleurs, si j’avais voulu absolument être Président, j’aurais pu l’être dans d’autres clubs, mais ma seule motivation, c’est uniquement les Girondins. Je ne veux être qu’aux Girondins et je ne ferai de l’argent un point important de ma fonction.

     

    Nous sommes séduits par ce discours, comme ça a été le cas pour la première interview que vous nous aviez accordé. C’est quelque chose qui ressort vraiment de tout ça, qu’il s’agit d’une situation idyllique. Les supporters ont tellement été déçus par le passé qu’on a l’impression que l’idyllique, c’est nous vendre du rêve et que derrière il n’y a pas les faits. Aujourd’hui, vous apportez des chiffres, quelque chose de concret. Est-ce que vous avez conscience que les supporters, avec ce discours, ont une très grande attente ?

    J’ai vraiment conscience des attentes des supporters. D’abord, je communique beaucoup avec eux en message privé, parce que je ne me prends pas pour un autre. Je suis avant tout un supporter, j’ai toujours été ouvert à la discussion et je le serai toujours. Même si on devient Président d’un club de foot, on n’est pas un héros pour autant, on reste un pion important du système, mais un pion du système. Aujourd’hui, on le voit, un club de foot, c’est une adhésion des joueurs, de l’entraineur, des salariés, de la partie administrative, la formation… Mais aussi les partenaires, les supporters, les Ultras. C’est un ensemble, on ne peut pas réussir tout seul. Bruno Fievet n’est rien, et il ne sera jamais rien. On ne réussit qu’avec les autres. Alors, oui, j’ai conscience que ça donne beaucoup d’attentes et beaucoup d’envie à certains supporters, et il y en a d’autres qui sont encore circonspects, et qui peuvent encore avoir des doutes et je les comprends. C’est normal, on sort d’une telle période que c’est normal. Mais par contre, ce que je ne fais, ce que je n’ai jamais fait, et ce que j’espère avoir la lucidité de ne jamais faire, c’est de vendre du rêve sur ce que je ne peux pas promettre. Aujourd’hui, mon discours est un discours de bâtisseur, un discours où je dis clairement qu’il faut redonner aux Girondins un projet sportif. Je ne suis pas en train de dire qu’on va aller concurrencer le PSG. Ça, vous ne l’avez jamais lu, ou entendu de ma bouche, et vous ne l’entendrez jamais parce qu’on n’est pas du tout dans cet état-là. Il va falloir reconstruire, il y aura une période qui sera difficile. Ce ne sera pas ‘Fievet arrive avec son orchestre et le bal sera super bien animé’. Non. Il va y avoir une période de reconstruction, parce que ça le mérite, on le sait tous. Il ne faut pas se voiler la face sur le fait qu’elle va exister. Même si on a la capacité de prendre un, deux, trois bons joueurs, ça ne va pas révolutionner notre équipe et être dans les trois premiers. Peut-être qu’on aura de la chance, qu’il y aura un alignement des planètes comme disait Stéphane Martin et qu’on pourra jouer la deuxième ou la troisième place, j’en serai le premier ravi, mais ce ne sera surtout pas ce que vous entendrez comme discours de ma part. Je ne vends pas du rêve, je vends un projet sur du long terme, un projet sportif. On veut redonner déjà une âme à notre club. Tout le monde sait que c’est un ami pour moi, Tony Vairelles n’a pas fait longtemps au club mais ça, c’est le genre de joueur qui incarne des valeurs. Pas forcément les valeurs des Girondins parce que Tony a surtout été connu quand il était à Lens, Nancy, mais personne ne peut lui dire qu’il a triché dans la vie. Il a toujours tout donné, qu’il ait été bon ou pas bon. C’est ce genre de joueur que j’ai envie d’avoir aux Girondins, des joueurs qui mouillent le maillot. Je me souviens à Lescure, quand les joueurs étaient dans le tunnel, les adversaires avaient peur ! Il y avait des guerriers sur le terrain. Cela ne veut pas dire qu’ils étaient tous meilleurs, mais ils avaient cette envie collective de se battre pour un club. C’est ça que j’ai envie de retrouver aux Girondins. Est-ce que ça nous permettra d’être 10ème, 8ème, 6ème, 4ème ? Je n’en sais rien, et de toute façon, je suis incapable de dire quel effectif on pourrait avoir. Mais je suis aussi incapable de dire comment la concurrence va se renforcer. Quand on voit Nice qui a été racheté, qui potentiellement va pouvoir faire une belle équipe… Il reste Paris, Lyon, Marseille qui seront toujours là, Monaco, Lille, Saint-Etienne, Rennes… Il y a quand même du monde ! On ne peut plus dire aujourd’hui qu’on va jouer la troisième place sur des effets d’annonce. Ce n’est surtout pas ce rêve-là que je veux vendre. Ce que je vends, ce sont des valeurs, et dans la vie, quand on a des valeurs, il y a de la réussite qui va derrière. J’ai toujours beaucoup travaillé, je suis un énorme travailleur, je travaille 10-12 heures par jour. Forcément qu’à un moment ça paye. Celui qui travaille, cela paye. Aujourd’hui, je pense qu’aux Girondins il manque singulièrement de travail. J’ai discuté avec des préparateurs physiques aux Girondins qui me disaient qu’à Bordeaux, cette année, on n’a pas fait de foncier. Ça se voit ! Quand vous regardez les résultats de l’équipe, en seconde mi-temps on est catastrophiques. L’équipe s’écroule toujours. Contre Marseille, les 15 dernières minutes on est inexistants. A Brest, alors qu’on est à 11 contre 10, on se fait remonter. A Saint-Etienne, à 11 contre 10, on finit à 1-1 lamentablement, et on peut perdre dans les dernières minutes. Il y a un vrai problème physique. Mais le problème physique vient du fait qu’on ne travaille pas assez. Quand on parle de valeurs, cela passe par le travail. Aujourd’hui, il n’y a rien sans travail. Ceux qui pensent le contraire sont des joueurs qui ne réussiront jamais dans le sport. Aujourd’hui, ce n’est surement pas la faute des joueurs si on est dans cet état physiquement, mais c’est ce que je veux inculquer au niveau du club, que tout le monde travaille, que ce soit chez les jeunes, chez les professionnels. Je pense que chez les jeunes, c’est une remarque que j’aie, c’est pourquoi on n’a jamais sorti certains jeunes qui auraient pu sortir aux Girondins ? Peut-être parce que physiquement, on ne les a pas assez poussés. Parce que c’est en les poussant qu’on peut les préparer au haut niveau. Si vous ne poussez pas vos jeunes, quand ils arrivent au haut niveau, on sait que ça va plus vite, que les contacts sont plus durs… Le savoir c’est une chose, le faire c’en est une autre. Donc il faut travailler, remettre ces valeurs de travail au sein des Girondins de Bordeaux. C’est cet espoir-là que je veux faire renaître, pas celui des résultats. Les résultats, ça sera la conséquence d’un bon travail. Mais on ne va pas aller acheter Mbappé, Neymar, Cavani aux Girondins de Bordeaux, ce n’est pas l’objectif, et ce n’est pas ce que je suis en train de vendre.

    Merci Bruno pour ces précisions, et ces éclaircissements. 

    L’entretien en version audio :