InterviewG4E. Pierrot Labat : “Vous allez voir, on va se retrouver en finale de Ligue Europa”

    Véritable légende vivante des Girondins de Bordeaux, le grand Pierrot Labat a accordé un bel entretien à Girondins4Ever. Le formateur, maître de la technique, aborde sans tabou l’épisode Gustavo Poyet, la saison à venir de Bordeaux, Yoann Gourcuff, Zizou ou encore Hervé Bugnet. Confidences.

     

    Pierrot Labat

     

    Bonjour Pierre, comment allez-vous ?

    Je vais très, très bien, je suis en pleine en pleine forme. J’ai un peu mal à une cuisse, c’est tout, mais sinon ça va bien (rires).

     

    Depuis combien de temps êtes-vous aux Girondins de Bordeaux ?

    J’ai signé une licence aux Girondins de Bordeaux en 1952. Après, je me suis blessé gravement puisque j’ai eu une rupture des ligaments croisés au genou gauche, ce qui fait que j’ai quitté le club dans les années 60, par là. En réalité, j’avais quitté le club trois mois avant parce que je devais faire un essai dans le sud, et je me suis pété le genou trois mois après avoir quitté le club. Malgré ça, les Girondins se sont occupés de moi, m’ont aidé, mais on n’a pas pu me rétablir. Alors, j’ai quitté le foot complètement. Je suis parti à l’armée et je me suis retrouvé handicapé puisque je ne pouvais pas jouer au football. J’ai essayé de reprendre, de revenir au football, et j’ai eu l’occasion de m’entrainer avec le père de Jean-Michel Larqué, à Pau. Mais je ne suis jamais réellement revenu, le genou partait en permanence, je n’ai pas fait ce qu’il fallait. J’aurais dû le faire. J’ai été condamné pour le football et tous les gars qui étaient en-dessous de moi jouaient en pro, mais moi je ne pouvais plus. J’ai abandonné aussi le fait d’aller aux matches, je ne pouvais pas regarder un match de football, ça me faisait trop mal. Je suis donc revenu aux Girondins de Bordeaux à la fin de l’année 1979 à la demande de Didier Couecou. Et depuis je ne suis jamais reparti… Je suis parti un peu partout parce qu’au départ je ne voulais pas être entraîneur, mais entraîneur adjoint. On m’a demandé de prendre une équipe de minimes, les 16-17 ans, et je suis resté aux Girondins. Je reste aux Girondins aujourd’hui en permanence à l’école de football, et en 1986, on me propose d’être l’adjoint de Philippe Goubet, c’est ce qui me fallait. Et ensuite j’ai tout fait : l’école de football, le recrutement, le centre de formation, jusqu’aux pros. Je suis resté 13 ans avec les pros, et maintenant je suis en train –j’espère y arriver- de mettre en place une méthode de travail, de la technique principalement. C’est mettre en place les gammes du football, parce que j’ai eu la chance de rencontrer 1986 un Monsieur qui s’appelait Ante Mladinic, qui m’a tout appris, à savoir le travail avec le ballon. Toute la technique yougoslave, je l’ai faite pendant trois ans, c’est-à-dire travailler avec le ballon dans tous les sens. Ce que ce gars-là avait mis sur image, moi je l’ai mis sur DVD. C’est la manière de travailler qui a formé des gars comme Duga, Liza, François Grenet, Yannick Fischer… Toute la période où on disait « attention aux Girondins », celle où on avait prévu pas mal d’internationaux parmi les équipes de jeunes. Cela a donné deux Champions du Monde. Après, je me suis toujours spécialisé dans la technique et dans l’accompagnement psychologique. Je n’ai pas voulu aller plus loin, je ne voulais pas, ça ne m’intéressait pas. Un jour, j’étais l’auxiliaire des pros, j’allais voir des matchs, j’étais au Cameroun, et on m’appelle en me disant « Pierrot, il faut que tu rentres vite, il y a Élie Baup qui te veut comme adjoint ». Et je suis devenu, en janvier 97 adjoint d’Élie Baup, jusqu’en 2005 ou 2006.

     

     Vous voyez-vous arrêter d’entraîner un jour ?

    Non, le jour où j’arrêterai c’est que je ne pourrai plus marcher. « Entraîner », si vous voulez, le mot est un peu fort pour moi. Le problème actuellement, c’est d’expliquer aux gens que ce que je fais faire, n’est pas utile, mais c’est indispensable. Le football a été pris un peu trop, par les problèmes physiques, par les préparateurs physiques, au niveau de la musculation. La musculation a dénaturé les joueurs. Bien entendu que c’est nécessaire le physique, mais si vous n’avez pas le ballon, cela ne sert à rien. Le sport, l’entraînement, c’est la technique, la tactique, le physique et le mental. Dans la technique, il y a les gammes, c’est un ensemble. Les appuis, etc, c’est tout ce qui se fait avec le ballon. Le physique, il vous sert à courir, à devenir un petit peu plus puissant, à monter plus haut, mais il y a un autre élément, c’est le mental. Si vous n’avez pas ça, vous ne pouvez rien faire. Voilà ma philosophie en la matière. Et c’est pour ça, qu’aux Girondins de Bordeaux, tant que je serai là, j’essaierai de dire aux éducateurs, comment, et ce qu’il faut faire. Je ne ferai plus de démonstration, parce qu’au bout d’un moment, vous n’avez plus la souplesse. Je remplace la démonstration par la vidéo. Vous montrez ou vous démontrez. Moi je ne peux plus démontrer, alors je montre.

     

    Pierrot Labat

     

    Ce n’est déjà pas mal…

    Oui, d’où l’intérêt de Youtube, de la vidéo, pour montrer certains gestes.

     

     

    Que pensez-vous de ce début de saison des Girondins ?

    Dommage, c’est du gâchis. Peut-être par la personnalité du Poyet, qui était parti -à mon avis- sur de bonnes bases. Il avait fait du très bon travail, en n’ayant pas trop mis de gars de côté. Puis il y a eu ce décalage de Poyet. C’est un gars avec qui je m’entendais très bien, je reconnais qu’il a des qualités. Mais c’est inadmissible ce qu’il a fait. Quand on a un poste comme ça, une responsabilité comme ça, on n’a pas le droit de répondre comme ça. C’est dommage pour lui, mais je le plains, plus que je ne le blâme ! Mais le club ne pouvait pas en rester là. Il était obligé de prendre des décisions. Ils ont fait un choix. Ils pensaient Thierry Henry, peut-être que cela aurait été bien, je n’en sais rien. Et là, ils essaient, avec des gars qui ont quand même pas mal de compétences, d’expérience, au haut niveau. Ils essaient de mettre les gars dans le coup, d’inclure un peu tout le monde. Et de trouver la formule idoine. Avec les mêmes ingrédients, essayer de faire prendre la mayonnaise, comme avait fait Poyet, dans certains domaines. Cela ne sert à rien de se mettre en opposition avec la direction. Il faut essayer de travailler avec. Il ne faut pas exagérer, le club des Girondins n’est pas un endroit où quelqu’un s’impose. Il y a possibilité de dialogue. Pour moi, je pense, que le club est bien parti, je l’ai même dit à Poyet. Il est parti comme en 96, j’ai dit, « vous allez voir, on va se retrouver en finale de Ligue Europa ». Et je ne serais pas surpris si on y arrivait. Les gars qui n’apparaissent pas bons à certains moments, ils vont s’améliorer au fur et à mesure, de jouer ensemble. Les différentes composantes du staff technique, qu’est-ce qu’ils cherchent ? L’amalgame. C’est-à-dire, arriver à faire jouer les gars ensemble et à faire prendre la mayonnaise. Et ce qu’ils ont fait à Guingamp, je leur tire mon chapeau. Je vous le dis franchement, à 1-1, je pensais qu’ils allaient perdre. Et pour moi, je ne serais pas surpris de les voir en finale.

     

    Donc la solution de cette saison, c’est ce tandem Éric Bédouet–Ricardo ?

    Actuellement, oui, dans la mesure où il n’y avait pas d’autre solution. Ils ont choisi la solution qu’ils avaient sous la main. Ricardo, on connaissait ses qualités sur le terrain. Éric, on connaît sa complaisance, son analyse. Comme je le disais quand il a pris l’équipe après Poyet, il a cette faculté de ne pas vouloir tout bouleverser. Il prend les choses dans la continuité des autres. Et après, il essaie de faire des choix. Lui, il essaie de tenir compte du problème psychologique, de ne pas casser psychologiquement les gars. Pour qu’ils puissent être utilisés. De ne pas avoir des gars que pour la forme, de les avoir aussi pour le fond, pour qu’ils t’apportent quelque chose.

     

    Quelle est, selon vous, la génération la plus talentueuse entre celle de Rio Mavuba, Marouane Chamakh, Pierre Ducasse, etc… et celle d’aujourd’hui avec Jules Koundé, Aurelien Tchouaméni, Zaydou Youssouf… ?

    C’est sensiblement la même chose. Peut-être que les anciens avaient un peu plus de forme. Pour moi, c’est sensiblement la même chose, les mêmes qualités. Le talent, quand ils l’ont, après, vous essayez de leur apprendre certains gestes. Cet appris, devient de l’acquis. Et quand il devient acquis, il faut le répéter pour que cela devienne de l’automatique. Des gars comme Rio Mavuba, Marc Planus, tous ces gars avaient un travail de fond, des fondamentaux. Regardez Tchouaméni, il a vraiment ces fondamentaux. Kamano, il faut insister pour le faire travailler. Le but qu’il a marqué dimanche, contre Guingamp, il doit le reproduire ce genre de choses. Les nouveaux qui sont venus au mercato, vous sentez qu’ils ont des qualités individuelles. Maintenant, il faut que ces qualités individuelles puissent se mélanger au collectif. La nouvelle génération va-t-elle arriver aussi loin que les Mavuba, etc ? Celui qui avait fait le lien à l’époque de Chamakh, c’est Yoann Gourcuff. C’est ce qu’il faut, un gars qui vous fasse le lien, un meneur de jeu. C’est mon point de vue. C’est difficile de comparer untel et untel. Il y en a un autre qui a fait la différence sur le côté, c’est Benoît Trémoulinas. Il vous a amené quelque chose lui ! Au départ, il a été refusé par la presse, n’oubliez pas ça. Et le gars qui l’a mis sur pied, qui lui a dit « Non, tu dois faire comme ça et comme c’est », c’est Battiston. Les joueurs, il faut regarder leurs qualités avant les défauts. Même vous journalistes, soyez productifs, regardez ce qu’ils savent faire, pas ce qu’ils ne savent pas faire.

     

    Beaucoup de joueurs ont loué vos qualités de formateur et plus globalement d’entraîneur. Pour vous, quel était le joueur avec le plus de talent, que vous ayez eu sous vos ordres ?

    Les talents qui m’ont le plus marqué, c’est ceux dont on m’avait dit qu’ils n’arriveraient à rien, qu’ils n’avaient pas les qualités de joueurs professionnels. Ce sont Duga et Liza. Ces gars-là m’avaient montré des trucs exceptionnels, et des gars dans le football m’avaient dit « Liza, il n’arrivera à rien, il est trop petit ». Et Liza, vous en avez une copie, ou presque, c’est Palencia. Je vous le dis tout de suite. Il me fait penser beaucoup à Liza. Il est juste à droite au lieu d’être à gauche. Le génie, même si je ne l’ai pas senti à ce point, malgré que je sentais qu’il avait du talent, c’est Zizou. Et le dernier, c’est Yoann Gourcuff. Pour moi, on l’a tué, c’est tout, ne cherchons pas. Ce sont les quatre pépites.

     

    Auriez-vous aimé être l’entraîneur principal des Girondins ?

    Je n’y ai jamais aspiré. J’y ai pensé, mais plus tard. Je ne me voyais pas avec mes qualités. Après, je me suis dit « t’as été idiot de ne pas le faire ». Je pense que j’aurais pu arriver, si j’en avais eu envie, à faire avec l’équipe principale, ce que j’ai fait avec les jeunes. Par exemple, le Mondial minimes de Montaigu, c’est moi le premier qui l’ai gagné. Mais je n’ai jamais aspiré à prendre cette position-là.

     

    Pierre Labat entrainement Bordeaux

     

    Avez-vous déjà eu une proposition ?

    Non, pas spécialement. Ceux qui m’ont fait une certaine réputation, ce sont les joueurs. Parce que les éducateurs, ne me sentaient pas. Comment se fait-il, que même à mon âge, j’ai des éducateurs, qui disent aux joueurs « Non, ne va pas t’entraîner avec Pierrot » ? J’ai des joueurs qui viennent me dire « Pierrot, je voudrais m’entraîner avec toi », on leur dit « non ». Et je vais vous avouer quelque chose : je pense que si Dieu me prête vie, mon prochain bouquin va être « Pierrot, je veux m’entraîner avec toi, pourquoi ? ». Voilà quel va être le titre de mon livre. Ce travail technique, il y a peu d’entraîneurs qui savent le faire. Très peu. C’est pour cela qu’on appelait les Yougoslaves, les « Brésiliens européens ». Maintenant, regardez la Croatie… ne cherchez pas plus loin !

     

    Si un ancien joueur -comme Zinédine Zidane ou Bixente Lizarazu- vous avait demandé de venir faire profiter de vos compétences dans un autre club professionnel que les Girondins, auriez-vous accepté ?

    Non. J’y serais allé, oui, mais je serais toujours revenu aux Girondins. J’appartiens plus aux Girondins qu’aux autres clubs. Par contre, je peux aller montrer à un autre club, j’y suis déjà allé. Je suis allé aux États-Unis pendant 5 ans. J’ai la fierté d’avoir aidé un club à avoir une académie. Mais je suis un « unique » à faire travailler la technique, à défendre cette partie-là. Si Liza m’avait appelé, je lui aurais dit « je veux bien venir te montrer ». Mais sans les Girondins, je ne serais pas là.

     

    Hervé Bugnet disait récemment que, s’il « avait 20 ans aujourd’hui », il se serait « imposé à Bordeaux ». Pensez-vous que c’est plus facile d’obtenir un contrat professionnel, de jouer en première division, aujourd’hui, plutôt qu’il y a 15 ans ?

    Non, pour moi, c’est la même chose. Les générations se suivent, et se ressemblent. C’est la même chose. Hervé Bugnet il a eu le tort, lorsqu’il était meilleur joueur en D2 avec Le Havre, de vouloir à tout prix revenir aux Girondins. Pierrot Labat lui a dit « non, ne reviens pas » et malgré ça, il est revenu. Et après, il n’est pas arrivé à s’imposer parce qu’il avait le club dans le sang. Puis tout a foiré à partir de là. Vous savez, tous ces gens de cette génération m’ont toujours questionné. Hervé, le tort qu’il a eu, c’est qu’il était dans une dynamique ascensionnelle, quand il était en D2, et il aurait dû continuer sur cette dynamique.

     

    Pour finir, quels conseils donneriez-vous à un jeune joueur qui rêve d’être professionnel ?

    Tout simplement, évaluer le talent qu’il a, de jouer, et de travailler énormément sa technique. Avant de faire quelque chose en match, il faut le faire à l’entraînement. Il faut s’entraîner suffisamment, pour arriver à le transmettre. Il faut arriver à s’imposer et à gravir les échelons. Ou vous êtes très fort, et vous gravissez les échelons rapidement, ou vous le faîtes petit à petit. Mais il faut jouer, jouer, jouer ! Il vaut mieux un peu de talent, mais beaucoup de travail plutôt que beaucoup de talent, mais pas de travail.