InterviewG4E. Jérémie Janot : “Si on avait mené au score, j’aurais laissé marquer Ben Khalfallah”

    (Photo by ARIS MESSINIS / AFP)

    Une icone, une légende, un super-héros. Les noms sont nombreux pour notre interviewé du jour. A l’approche d’un match aussi mythique que Sainté-Bordeaux, nous voulions marquer le coup avec un joueur tout aussi mythique. Ce joueur atypique aura marqué l’ASSE par son talent dans un premier temps, mais aussi par sa personnalité attachante. Nous voulons bien sûr parler de Jérémie Janot, véritable phénomène stéphanois. De ses souvenirs face aux Girondins à des points de vue sur des gardiens actuels, en passant par un chant des Ultramarines en son nom, l’ancien portier des Verts s’est confié à nous en toute simplicité et avec sa bonne humeur légendaire. Amis lecteurs, c’est à vous !

     

    Quelle image avez-vous des Girondins de Bordeaux de manière générale ? Avez-vous eu des contacts un jour avec ce club durant votre carrière ?

    « C’est un club mythique, qui fait partie des clubs préférés des français. Comme j’étais l’adjoint de Francis Gillot et d’Alain Bénédet (à Auxerre en 2017, ndlr), on avait l’occasion de parler de Bordeaux. On sait qu’actuellement, ils sont dans une phase de transition avec les nouveaux propriétaires. Ce n’est jamais évident, mais cela reste une place forte du football français. Ce n’est jamais facile d’aller gratter des points là-bas. C’est l’image que j’ai de Bordeaux, en sachant que j’ai une vraie estime pour Benoit Costil.

    Non, jamais. En même temps, j’ai joué durant la période Ramé puis Carrasso. Il n’y avait pas non plus besoin de changer de gardien. Ce sont de sacrés gardiens. D’avoir existé à coté, c’est déjà beau. Après, cela aurait pu être sympa, c’est une belle ville Bordeaux. J’ai toujours été bien chez les Verts ».

     

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    AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK (Photo by JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP)

     

    Quels souvenirs gardez-vous de vos confrontations face aux Girondins ?

    « J’ai un match où l’on fait 1-1 à Geoffroy-Guichard, où Bordeaux est champion. Pour nous, c’est le maintien, et je fais un gros match, je m’en souviens. Un bon moment. J’ai aussi souvenir d’un but exceptionnel de Dimitri Payet, où l’on mène 3-0. Cela part d’un de mes six mètres, je dégage sur Emmanuel Rivière. C’est quelque chose que l’on avait mis en place. On l’avait essayé à tout le monde, cela n’avait pas marché (rires). A la 90ème, cela avait marché et on marque dessus. Un super souvenir. J’ai aussi pris des roustes contre Bordeaux. Je me souviens également d’un but extraordinaire de Darcheville à Chaban-Delmas. Il me met une cacahuète, je crois de 35 mètres, je me souviens encore du bruit. Je ne revois le ballon que dans les filets. Connaissant Darcheville, je vais dire qu’il l’a fait exprès. Souvent, il y a des mecs qui mettent des patates ‘au hasard Balthazar’. Mais lui, c’était voulu ».

     

    Vous détenez le record d’invincibilité à domicile en Ligue 1 avec 1 534 minutes entre le 9 novembre 2004 (ASSE-Nice, but de Agali, victoire 2-1) et le 21 septembre 2005 (ASSE-Nancy, but de Lécluse, défaite 0-2). Soit 17 matchs pleins et plus de 24 heures de jeu sans encaisser le moindre but. C’est encore une fierté d’avoir ce genre de record ?

    « En tant qu’éducateur-entraîneur, je suis plus fier de ce que l’on avait créé mes défenseurs et moi plutôt que du record en lui-même. Le record découle d’une entente parfaite entre six joueurs : le gardien, ses défenseurs et le 6. C’est surtout cette aventure humaine. Il faut se rendre compte que cela fait 17 ans. Cela fait plus de 17 matches sans prendre de but à domicile, c’est l’équivalent de ne prendre aucun but à domicile pendant une saison. C’est quasi-impossible. Les records sont faits pour être battus mais on se rend compte aujourd’hui que le grand Paris Saint-Germain ou autres n’y arrivent pas. Mais le pire, ce qu’il faut savoir, c’est que l’on perd ce record sur un match en retard contre Nancy et qu’après on refait six matches derrière. C’était vraiment un truc de fou, sans Nancy, on aurait pu faire bien mieux. C’est l’aventure et ce que l’on a créé avec les défenseurs qui me rend plus fier ».

     

    A coté de cela, votre homologue Gaëtan Huard possède un record d’invincibilité de 1176 minutes avec les Girondins. Une très grosse performance aussi.

    « C’est énorme. Ce sont des records qui durent. On mesure un record au temps qu’il a mis à être battu. Celui de Gaëtan n’est pas prêt d’être battu aussi. Pour moi, Gaëtan est un titan du poste, j’adore parler avec lui. Il pue le football, il pue le gardien de but ».

     

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    AFP PHOTO FRED DUFOUR (Photo by FRED DUFOUR / AFP)

     

    Vous avez évolué avec des joueurs passés par les Girondins, comme Didier Tholot ou encore Pascal Feindouno. Pouvez-vous nous parler de ces joueurs ?

    « Didier Tholot représente pour moi le battant, le guerrier, le mec qui ne lâche rien, qui va mettre au fond le ballon qui traîne dans la surface. C’est un gars qui mouille le maillot de la première à la dernière minute. S’il rentre 20 minutes, vous savez que ce sera 20 minutes à fond. Jamais d’état d’âme, un excellent joueur de club. Pour Pascal Feindouno, c’est pour moi le joueur le plus fort avec qui j’ai joué. Le plus talentueux, c’était un magicien, il sait tout faire avec un ballon, il est extraordinaire. Il est hyper attachant. Je me suis régalé avec lui, il est fabuleux. Il faisait des trucs hallucinants avec le ballon. Il faisait tomber les mecs avec un contrôle ».

     

    Vous souvenez-vous du chant réalisé par le Virage Sud de Bordeaux ? « Janot, si t’es sympa, laisse marquer Ben Khalfallah ». Que ressent-on dans ces moments ?

    « J’entends ça, on est mené 1-0. Je me retourne, je vois les mecs et je rigole avec eux. Franchement, si on avait mené 2-0, j’aurais laissé passer. Christophe Galtier m’aurait tué derrière mais je l’aurais fait car j’étais dans le délire. J’entendais tout, et je me disais que si je le faisais, c’était mémorable. Et en plus, dans le match, on perd 1-0, il y a le chant, et trois minutes après, il met une frappe que je boxe. Cela m’a traversé l’esprit. Si avait mené au score, j’aurais pu faire une roulade et la laisser passer. Je ne pouvais pas faire porter ça sur le travail de l’équipe ».

     

     

    Coté Bordeaux, le club vient d’être racheté par un fonds d’investissement américain, à l’image de l’OM il y a quelques années, ou même avec des rumeurs pour Saint-Etienne l’année dernière. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle étape dans la vie du club. Est-ce que cela peut lui permettre de passer un cap et de revenir sur le devant de la scène ?

    « On est dans une politique de marché. A partir du moment où il y a des propriétaires, vous pouvez acheter ou vendre. Un des avantages de Bordeaux, c’est le vin. Même si au premier abord, les gens ne voient pas ça comme une finalité. Devenir propriétaire d’un club à Bordeaux, cela peut ouvrir d’autres perspectives dans le business. On est à l’heure du football business. Il faut être conscient qu’il y a des personnes qui achètent des entreprises pour en faire fructifier d’autres. Ce sont généralement des personnes très compétentes, qui ne viennent pas la fleur au fusil. J’ai tendance à dire que si cela ne touche pas à l’ADN du club, si ça ne bafoue les valeurs qui ont fait que ce club devienne les Girondins, cela ne peut apporter que du bien.  Si cela permet d’attirer des stars et de tirer l’équipe vers le haut, les spectateurs vont être contents, ça va attirer du monde et le championnat sera meilleur. Cela peut créer un cercle vertueux. Il y a 10 ans, personne ne voulait venir en France. Maintenant, tout le monde veut venir, c’est bon signe. A condition qu’on ne touche pas à l‘ADN et aux histoires de club.

    Je pense que Bordeaux peut passer un cap, oui. Il y a deux choses : l’argent et ce que vous en faites. Il y a des gens qui connaissent bien le club. Ulrich Ramé est directeur technique du club, vous avez encore beaucoup d’anciens au club. Il n’y a pas eu de révolution, c’est une continuité. S’il y a une masse financière, bien utilisée, cela ne peut être que bénéfique pour le club et la ville ».

     

    Vous en êtes l’exemple, comme Ulrich Ramé que vous avez affronté à plusieurs reprises dans votre carrière… Vous pensez donc qu’il est important pour l’identité d’un club et la continuité de l’histoire que des ‘anciens’ soient dans l’organigramme du club ?

    « Bien sûr et le meilleur exemple est le Bayern Munich. Ce qui fait la forme de cette institution, c’est que vous avez des anciens du club à tous les étages. Qui est mieux qu’un mec qui a passé 20 ans au club pour transmettre des valeurs ? Pour transmettre des choses, il faut les avoir vécu. Chaque club a sa particularité, son histoire. En France, on a l’exemple de Lyon aussi. La formation marche aussi bien, c’est parce qu’il y a que des anciens lyonnais ».

     

    Benoit Costil

     

    Avec une belle carrière encore en cours, le portier des Girondins Benoit Costil est une référence française à ce poste, tout comme vous. Parlez-nous de ce joueur, que vous estimez beaucoup.

    « C’est quelqu’un qui a su se remettre en cause. Il était en situation d’échec à Caen. Il est parti à Sedan, où cela s’est bien passé là-bas. Il devait signer à Lens, et il se retrouve à Rennes. Il enchaînait les bonnes saisons avant de finir à Bordeaux. Il a remplacé Cédric Carrasso, ce qui n’était pas évident. Cela s’est bien passé, et je trouve qu’il fait vraiment un bon parcours chez les Girondins, il est en plus international. A un moment donné, si j’avais un petit reproche, ce serait qu’il était en train d’un peu trop se bodybuilder. Je le trouvais de plus en plus costaud. Ce sont des choses sur lesquelles je fais attention maintenant vu que je suis entraîneur, et je me suis dit qu’il fallait qu’il fasse attention à son explosivité. Le muscle est lourd donc il faut faire attention. Sur un plan technique et dans le jeu au pied, il a tout d’un gardien moderne et il fait partie du haut du panier français. Après, il faut savoir qu’un gardien a besoin d’être musclé, pour encaisser les charges de travail qu’il reçoit. Maintenant, vous avez affaire en face à des mecs costauds. Vous devez être capable de répondre à l’impact dans des sorties aériennes, au sol ou dans le duel avec l’attaquant ».

     

    Toujours au poste de gardien de but chez les Girondins, que feriez-vous avec le cas Paul Bernardoni qui va revenir de prêt cet été, mais qui sera dans la même configuration aux Girondins avec la présence de Benoit Costil ?

    « C’est un problème de riche selon moi. Je n’ai même pas envie de parler de problème. Vous avez un gardien sous contrat qui est performant. Il y aura trois cas de figure. Un départ de Benoit Costil, et cela ne sera pas un problème car il y a Paul Bernardoni derrière. Ou alors, une offre d’un club intéressé pour acheter Paul Bernardoni. Ou alors, le re-prêter en attendant. Pour moi, c’est tout sauf un souci. Paul a une bonne mentalité, et s’il veut jouer et qu’il est de nouveau sur le marché des prêts, il y a beaucoup de clubs qui vont se l’arracher ».

     

    saint-etienne

     

    Depuis plusieurs années maintenant, nos deux principaux groupes de supporters, les Magic Fans et les Ultramarines, ont une entente et se mélangent même dans leurs tribunes respectives. Quel regard portez-vous sur cette entente, assez rare dans le football ?

    « C’est vrai que c’est assez rare. Je l’ai connu aussi en tant que joueur, c’est toujours un accueil sympathique à Bordeaux. Cela date maintenant. J’ai toujours aimé ce qu’il se passe dans les tribunes. On a deux des groupes de supporters les plus brillants. On voit ce que les Magic font, c’est exceptionnel. J’ai toujours vu ça d’un bon œil. Surtout qu’à chaque fois que je suis allé à Bordeaux, c’est toujours sympathique. Peut-être pas avec mon personnage, mais j’ai toujours compris qu’il y avait une alliance entre les Magic et les Ultramarines ».

     

    Valentin Vada est prêté à l’AS Saint-Etienne jusqu’à la fin de saison, sans option d’achat. Quelle demi-saison fait-il, et que pensez-vous de lui ? 

    « J’aime bien. Je trouve qu’à chaque fois qu’il rentre, il se passe quelque chose. Techniquement, c’est quelqu’un qui met de bons ballons, il joue juste. Un peu feu follet, mais je trouve que c’est une bonne pioche pour les Verts. Sur son avenir, quelle sera la volonté de Sainté, de Bordeaux, de Vada ? Je ne sais pas. Moi, je l’avoue, je ne le connaissais pas et c’est une agréable surprise ».

     

    Francis Gillot

     

    Quel regard portez-vous sur l’ancien entraîneur bordelais Francis Gillot, qui après son expérience à Auxerre a expliqué qu’il ne coacherait plus de clubs de Ligue 2 ? On le rappelle, vous étiez entraîneur des gardiens dans son staff.

    « Franchement, j’ai passé des moments extraordinaires avec lui. J’ai beaucoup appris. Il a une rigueur exceptionnelle, il est intransigeant. Par contre, dans le bureau, on a bossé mais on a bien rigolé, à l’inverse de tout ce qui pense qu’il est froid. On a passé de supers moments. Il connait le football de A à Z. Quand je vois le travail de Francis Gillot, j’ai compris que je ne pouvais pas être entraîneur numéro 1 et que je n’avais pas le niveau. Francis est une pointure. Mon objectif est d’être un super adjoint et entraîneur des gardiens. Je n’en avais pas besoin, mais c’était la confirmation. Par contre, Francis est un super mec. Tout à l’heure, si je l’appelle, il va décrocher. Si je lui laisse un message, il me répond dans les cinq minutes. C’est un véritable connaisseur du football, il n’y a rien à dire. Il dit ce qu’il pense. S’il s’est fait chier pendant le match, il ne va pas venir avec des techniques de communication, il va le dire. C’est un coté franc et honnête que les gens ont du mal à interpréter. Il n’y a pas de filtre et j’ai trouvé ça intéressant. Quand il n’aimait pas un de mes montages vidéo, il le disait, et je prenais sa remarque, il est comme ça. Quand c’était bien aussi, il le disait ».

     

    Comment voyez-vous cette rencontre de dimanche entre Sainté et Bordeaux ?

    « Je suis un très mauvais pronostiqueur. Je pense que Sainté va poser beaucoup de problèmes, il y a le retour de Wahbi Khazri, de retour de suspension. Offensivement c’est dangereux, et cela reste solide derrière avec Stéphane Ruffier, Perrin. Devant, ça peut marquer à n’importe quel moment, ça tire bien les coups de pied arrêtés. Ils sont actuellement dans le top 4, et je pense qu’ils ne seront pas loin du top 3. Et concernant Wahbi Khazri, je pense que c’est un joueur qui aime bien jouer contre son ancienne équipe ».

     

    Un grand merci à Jérémie pour cette interview. Beaucoup de plaisir, des rires et des propos très pertinents et intéressants. Un pur plaisir ! 

    Pour suivre Jérémie Janot

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