InterviewG4E. Alain Giresse : “C’est bizarre, j’ai un sentiment de mal-être, de malaise, par rapport à ce club. Des fois, je me dis, ‘tu es sûr que tu as joué là-bas ?’”

    Photo: Gehad Hamdy / PictureAlliance / Icon Sport

    Cet après-midi, nous nous sommes entretenus avec Alain Giresse, meilleur représentant des Girondins de Bordeaux, meilleur buteur, et certainement aussi le meilleur joueur qu’a connu le club. Après avoir conversé plusieurs minutes pour faire le point sur la situation actuelle du FCGB, qui pourrait rapidement changer d’actionnaires, “Gigi” nous a accordé de longues minutes pour évoquer ce qui se passe en coulisses, que ce soit au niveau des salariés, du club, et évidemment des supporters que nous sommes tous. Bien au fait des deux fonds d’investissement, Alain se posa d’abord de nombreuses questions sur ce qu’il appelle cette “nébuleuse”, et le déficit qui se serait déjà considérablement creusé. Une question fuse alors : “Mais Frédéric Longuépée n’avait pas les moyens de limiter tous ces investissements ? Qui accepte que un gros salaire soit celui qui est donné ?”. Evidemment, en tant que Président Délégué, ce n’est peut-être pas Frédéric Longuépée qui a validé et distribué les gros salaires actuels du club au niveau du sportif, mais assurément GACP, qui a disparu de la circulation depuis deux mois. Même question d’Alain pour les employés historiques du club, ou sur la gestion des supporters… L’on sent bien que le meilleur buteur de l’histoire des Girondins de Bordeaux avec 179 buts, a bien cerné où tous les regards, accusateurs, étaient portés ces derniers jours. Notre conversation commence ici. Entretien. 

     

     

    Frédéric Longuépée est Président Délégué, et le seul représentant des dirigeants au Haillan. Quand Jean-Louis Triaud était là, c’est lui qui gérait cette partie-là également…

    Oui, cela faisait partie d’un tout, il s’occupait de tout, comme le faisait Jean-Michel Aulas, il traitait avec les supporters, il doit avoir des responsables administratifs mais il avait un œil là-dessus, comme le sportif… Là, c’est très étonnant ce morcellement. Normalement, un club ne fait qu’un, avec ses différents départements que sont le côté administratif, le côté supporters, sportif… Mais tout ça normalement ne fait qu’un pour la bonne marche et le bon fonctionnement du club ! Sachant que le sportif reste la partie la plus importante, puis que c’est la nature même d’un club de foot que d’avoir des résultats sportifs, et que derrière toute la mécanique administrative et tous les compartiments du club, tout est fait pour amener des moyens, des possibilités, faire en sorte que les retombées soient positives pour le sportif.

     

    Sauf que les fonds d’investissement, c’est fait pour de la rentabilité, et il y a deux visions différentes sur ce fonds d’investissement : la rentabilité rapide voire immédiate pour King Street, et le développement du sportif pour des retombées à moyen terme pour GACP.

    Oui cette dernière visibilité correspond à une normalité de fonctionnement. Après, là où j’ai du mal à comprendre, au-delà du fait qu’on ait dépensé beaucoup au niveau des salaires des joueurs qui sont arrivés, c’est quelle est cette raison de ces affrontements avec les supporters, ainsi que le remerciement de plusieurs personnes au niveau administratif. Ça se base sur quoi, tout d’un coup ? Ils pensent que ces gens-là ne sont pas assez performants, efficaces ? Ils s’imaginent quoi ? C’est en tout cas nébuleux tout ça. On est en plein de dedans, mais je pense qu’on n’en est qu’au début du plein dedans… On n’est surement qu’au début de nos surprises.

     

    C’est ça, surement au début de nos surprises…

    Ce que je veux évoquer avec vous, c’est la surprise que j’ai. Quand il y a un repreneur, le basique c’est d’avoir une équipe compétitive au niveau sportif, et que ça fonctionne. Tout d’un coup, on voit qu’on a plein de problèmes qui jaillissent de partout, et quelque part qui créent plus d’interrogations sur le club, et ses perspectives. Pour le moment, je suis interpellé par quelque chose qui dénote par rapport aux Girondins, quelque chose qu’on n’avait jamais connu, jamais vu. Et qu’est-ce que ça va donner derrière ?

     

    On avait toujours une base au niveau du Château, une stabilité au moins au niveau administratif. Là, il y a de nombreux témoignages qui ressortent, avec des salariés qui sont licenciés, qui partent aussi d’eux-mêmes parce que c’est peut-être le moment, ou qui se plaindraient de leur traitement… Certains seraient même en arrêt maladie, en dépression…

    Ça, c’est énorme. Nous, les gens qui avons vécu ou vivons aux côtés ou au travers de ce club… Quand il y a eu la fameuse descente en seconde division, c’est ce qui a permis toute cette base, l’administratif et les supporters populaires, de ne faire qu’un aller-retour et de remonter aussitôt. Tandis que là, tout d’un coup, on est sur quelque chose qui est fragile quoi ! Tout peut s’écrouler. Aujourd’hui, s’il n’y a plus de résultats, qu’est-ce qu’il va y avoir derrière pour que le sous-bassement permette de pouvoir rebondir et de repartir ?!

     

    Ce qui commence à ressortir aussi c’est que dans les personnes recrutées, il y aurait également des personnes qui non seulement ne sont pas supporters des Girondins – ce qui peut se comprendre et à partir du moment où ils amènent leurs compétences il n’y a pas de souci – mais en plus seraient supporters de clubs comme Marseille, Paris, etc… C’est difficile à comprendre, de remplacer des personnes qui ont les Girondins dans la peau… Comment peut-on essayer de garder cette âme et cet esprit Girondins, en ayant des personnes qui ne sont pas du tout affiliées aux Girondins ?

    Ça, de toute façon, c’est tout le problème des reprises des clubs, d’une façon générale en Europe, au niveau de la préservation d’identité, d’image de marque, d’un fonctionnement d’un club basé sur l’identité d’un club, sur ce qu’il est, sa culture… Ça, c’est toute la difficulté. Aujourd’hui, on est en train malheureusement de le vivre à Bordeaux, c’est clair. Des personnes arrivent et ne mesurent pas ce qu’est le club. Ils sont là, ce sont des professionnels, compétents, mais est-ce que cela suffit ? Il faut être imprégné correctement de ce que représentent les Girondins. Quand M6 avait repris, il y avait eu un Président qui n’était resté que quelques mois (Dominique Imbault, ndlr)… Je ne dis pas qu’il était incompétent, mais il n’avait pas la maîtrise de ce que sont les Girondins. En tout cas, c’est interpellant, c’est évident.

     

    haillan

     

    Il y a aussi donc cette opposition entre Frédéric Longuépée et les supporters historiques. Il y a cette affaire de la billetterie, avec la « théorie de la rareté » qui revient, initiée surement par Antony Thiodet, où on empêche de prendre quand on le souhaite des places dans la tribune populaire…

    Mais alors là, il va falloir qu’on m’explique le fond de son raisonnement à ce bonhomme-là. C’est quoi la finalité de son affaire ? Est-ce qu’il est conscient que comme dans tous les clubs, il y a fatalement une tribune, un Virage, qui représente quelque chose ! Mais… Ils veulent quoi, l’éclatement ? Que ces supporters n’existent plus ?! Okay, ils ne veulent pas qu’ils existent, mais pour quelle raison ?! Qui a-t-il de gênant ?! Ce Virage est historique. Il est monté en puissance dans les années 80, quand on a commencé à faire des résultats, quand on devenait quelque chose, et depuis ils existent, c’est une évidence. Cela fait partie des Girondins. Et même par rapport aux autres stades de France, cela fait partie des tribunes les plus populaires et les plus marquantes pour un club.

     

    Ce qui est perçu, c’est que les Ultramarines sont une force en présence du club, qui influe pour garder une certaine histoire du club, pour véhiculer certaines valeurs. D’après eux, Frédéric Longuépée les voit comme un caillou dans la chaussure, empêchant ou ralentissant certaines décisions. Une des volontés de Frédéric Longuépée serait de revoir la sécurité du stade au profit d’une sécurité privée…

    Ce que je comprends, à la limite, ce sont les fumigènes. Les fumigènes amènent des amendes pour le club. Il y avait eu un débat sur France Foot, où des supporters disaient que ce n’était pas discutable. Mais sinon, c’est dommage parce que c’est pénalisant pour le club, avec ces amendes. En Angleterre, on ne voit pas ça, ou même lors d’un Atlético-Barcelone. Après, tout ce qui est banderole évidemment, etc… Sans oublier le maintien au niveau de la sécurité, d’une tribune qui est présente, qui supporte… J’ai discuté avec Florian (Brunet, porte-parole des Ultramarines), je lui disais que sur le plan sportif, ça allait, les Ultramarines sont contents, ça ne se passe pas trop mal. Ce n’est pas une équipe flamboyante à l’heure actuelle mais c’est une équipe solide, qui est en place, qui fait des résultats. C’est déjà une bonne chose. Et par rapport aux moyens des Girondins, vis-à-vis d’autres équipes, je trouve qu’ils ne s’en sortent pas mal !

     

    C’est un peu l’arbre qui cache la forêt parce que si le sportif ne fonctionnait pas, imaginez…

    Oui, on serait dans un moment extrêmement compliqué, très compliqué. Mais attention, parce qu’il y a une sensibilité. Il ne faut pas s’imaginer que le sportif est hermétique à tout tremblement de terre. C’est évident.

     

    Alain GIRESSE
    Photo Icon Sport

     

    Quelle est votre relation aujourd’hui avec les Girondins. On a suivi vos propos au sujet du rôle d’Ambassadeur, où vous aviez été reçu par Joe DaGrosa à Paris… Est-ce qu’il y a eu une évolution par la suite ?

    Non, non. J’ai été invité pour Bordeaux-Paris, j’y suis venu parce que je voulais voir comment ça se passait. C’est un côté où je suis tout à fait à l’aise, je ne suis pas en train d’évoquer le club par rapport à une possibilité de fonction au club, je ne suis pas du tout là-dedans. Florian Brunet, et j’en parlais dimanche avec lui, il me dit : ‘de toute façon, ce poste, vous l’avez déjà’. Je lui dis ‘pardon ?’. Il me répond ‘oui, vous êtes emblématique’. Ah, pardon (rires), okay, d’accord (rires). Ce poste, je ne le revendique pas, il est évoqué de par mon histoire, mon vécu, aux Girondins. J’ai quand même un œil sur le club, je suis marqué, je suis du pays. Je me dis que je veux suivre ça, parce que je suis attaché à ce club, son histoire, et tout ce qu’il représente, ce qu’il peut apporter : ce qu’il est. Après, quand on me fait venir à Paris pour me demander ce qu’est ce club, et que ça ne débouche sur rien… Je me demande pourquoi ils m’ont fait venir à Paris, je trouve ça limite, déplacé. C’est limite de me faire venir à Paris pour ne rien faire. Je ne revendique rien attention ! Le club m’invite quand il y a des manifestations etc, mais je ne m’y sens pas, je ne m’y sens pas. Je n’arrive pas à me ressentir dans le club tel qu’il était…

     

    On ne le reconnait pas…

    J’ai du mal à m’y positionner. Alors, je regarde les matches, je suis venu pour Bordeaux-Paris et j’ai été bien reçu, correctement. C’est bizarre, j’ai un sentiment de mal-être, de malaise, par rapport à ce club. Des fois, je me dis, ‘tu es sûr que tu as joué là-bas ?’. Voilà… Je le fais avec un peu de réserve, parce que je me dis ‘tu te prends pour qui pour revendiquer quoi que ce soit ?’. Je me méfie, il y en a tellement qui veulent tout d’un coup revendiquer je ne sais quoi… Moi, je revendique que je suis né dans ce club, j’ai marqué dans ce club comme aucun joueur n’a marqué encore. Tout ça, ça me donne le droit de l’aimer encore plus fort, d’avoir une sensibilité. Mais comme d’autres ! Parce que je discute avec des anciens, et plus particulièrement avec des anciens qui sont encore de la région. Parce qu’il y les anciens de ma génération qui n’étaient pas tous de la région, qui restent sensibles aux Girondins par rapport à ce qu’ils ont vécu, mais il y a aussi des personnes qui ont marqué le club et qui sont de la région. Alors, on a cette double appartenance, c’est-à-dire d’être du cru, et d’avoir porté le maillot du club, de notre région.

     

    Il y a deux jours, on a interrogé quelqu’un que vous connaissez bien, René Girard qui nous disait, sur le rôle d’Ambassadeur ou même de représentant du club : ‘qui peut représenter mieux les Girondins que Gigi, je ne vois pas’…

    Vous savez, ce sont des choses qui ne sont pas faciles à dire. J’étais capitaine. J’ai eu, dans mon rôle de capitaine, quand notamment tous ces joueurs comme René Girard, Bernard Lacombe, Marius Trésor, Patrick Battiston, tous ces joueurs qui arrivaient à Bordeaux, internationaux, qu’on avait la chance d’avoir dans notre équipe… J’étais celui qui faisait le lien, avec Aimé Jacquet évidemment, mais le lien local. La découverte de la région, du vin. Je les amenais, je les faisais rencontrer des maîtres de chai, visiter des châteaux, etc. Je me sentais investi de cette mission, parce que j’étais d’ici ! C’était une forme d’accueil que j’avais avec ces joueurs-là. Au-delà de ce que j’apportais sportivement, il y avait ça. A travers de ce que dit René Girard, ou les uns, les autres, je crois qu’ils m’ont respecté comme capitaine à travers aussi cette attitude, ce comportement que j’avais. J’y tenais, parce que j’estime que c’était de faciliter son adaptation à la région, etc. J’avais aussi ça en dehors de l’aspect purement sportif. En plus, comme ils étaient conscients de ce qu’était ce club, la valeur qu’il dégageait, l’état d’esprit qu’il y avait, la reconnaissance de ce club… C’est pour ça qu’on a vécu, outre nos très bons résultats qui sont faciles à apprécier, un quotidien comme ça, avec des liens forts qui sont des liens humains…

     

    Vous voyez, finalement, vous étiez déjà Ambassadeur à l’époque…

    (rires) Là aussi, il ne faut pas qu’ils galvaudent la notion d’Ambassadeur. Ambassadeur, c’est avoir quelqu’un qui représente le club dans des circonstances. Vous allez faire un match de Coupe d’Europe, vous amenez cette personne par exemple. J’ai eu la chance avec l’équipe de France d’être connu et reconnu, et j’étais aussi le joueur qui venait de Bordeaux, de l’équipe de France, Champion d’Europe… Un rôle de représentation. On n’est pas les gens les plus importants, mais quand il y a eu un Bordeaux-Juve en Coupe d’Europe, la veille l’équipe qui a joué la Juve, on a tous été réunis pour un repas officiel au Haillan. Pareil quand Copenhague est venu, on s’est réuni parce que le Président de Copenhague était un ancien joueur des Girondins (Niels Chr. Holmstrøm, Membre du conseil de Copenhague). Là, on dynamise toujours quelque chose. Evidemment, ce n’est pas ça qui va faire qu’on va marquer des buts plus facilement, on est bien d’accord. C’est pour ça que sur cette reprise du club, on a l’impression que tout d’un coup il y a beaucoup de choses qui ont été éliminées, qui ont été rayées de la carte des Girondins.

     

    Alors que l’histoire devrait être centrale, le sportif, les supporters… On s’aperçoit que la base de tout n’est plus forcément là.

    C’est pour ça que je suis ça avec beaucoup d’attention, ce qui est en train de s’enclencher… Est-ce que la machine est lancée, est-ce qu’elle ne peut pas faire marche arrière ? Je ne sais pas. Voilà, ça c’est mon actualité à travers le club, de le suivre. Et il y a une chose que personne ne pourra m’enlever, je vais peut-être pousser le bouchon un peu loin. Mes matches, ils ne pourront pas les éliminer, les gommer, mes buts non plus. Ca me dérange d’avoir à évoquer cela, je me dis que ce n’est pas vrai… Je me rappelle quand on allait en équipe de France, les joueurs de Bordeaux, et il y en a eu quand même quelques-uns… On était accueillis avec une certaine particularité. On disait ‘vous, les Girondins’. Parce qu’on dégageait quelque chose. J’avais cette fierté de dire qu’on était les Girondins, notre bleu marine et blanc, ça avait un côté classe… Il y avait plein de choses qui faisaient que, on était bien entre nous. Ce n’est pas qu’on voulait se distinguer, mais on était appréhendés d’une façon particulière. Et j’avoue que ça ne me dérangeait pas, ça faisait ma fierté, avec mes collègues ».

     

    Un grand merci à Alain Giresse pour le temps, le cœur, et la passion qu’il nous a accordés.

    Merci, Monsieur l’Ambassadeur. Ce titre, vous l’avez d’office chez nous.

    Alain Giresse
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