[Interview] Frédéric Roux : “Il va falloir prendre des risques, oser faire venir des pointures internationales”

    AFP PHOTO / DAMIEN MEYER


    Aujourd’hui, l’ancien gardien des Girondins de Bordeaux, Frédéric Roux, vit à Dubaï où il a créé sa propre académie de football, spécialisée dans… les gardiens de but (L’Ultimate Goalkeeper Academy, dont vous pouvez retrouver la page Facebook ICI). Car oui, plus qu’un poste, il s’agit d’une passion et une vocation pour “Fred”, qui avait déjà commencé à passer ses diplômes d’entraîneur alors qu’il était joueur au FCGB, en 2001-2002. D’ailleurs, c’est ce qui lui permit de savoir qu’il allait rester dans le milieu du football après sa carrière de footballeur, et ne pas avoir le fameux blues de fin de carrière que bon nombre de footballeurs peuvent traverser. C’est en venant plusieurs fois en vacances aux Emirats qu’il choisit de se rendre dans ce pays, et cela fait déjà huit ans qu’il y habite et travaille qui est en plein boom sportif, notamment par le biais de nombreuses académies de football. Cet amoureux du scapulaire continue bien évidemment de suivre les Girondins et nous donne son avis aussi aiguisé qu’honnête sur les gardiens de but bordelais de ces dernières années, et le nouveau portier Benoit Costil. Sans oublier Dominique Dropsy, car il était impensable de ne pas parler de lui… Interview.

     

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    Frédéric, tu es aujourd’hui coach des gardiens à Dubai. Peux-tu nous expliquer ton rôle et dans quelles structures travailles-tu ? Il s’agit, je crois, de ta propre Académie ?

    Je suis venu m’installer en 2009 à Dubaï, à la fin de ma carrière. J’ai tout d’abord travaillé pour plusieurs académies de football internationales en tant qu’entraîneur spécifique des gardiens. Puis pour le club professionnel d’Al Wasl où j’étais en charge des gardiens de but du centre de formation. Le regretté Bruno Metsu était alors l’entraîneur de l’équipe première. Après un an de collaboration, j’ai décidé de retourner dans le secteur privé pour ouvrir ma propre académie de gardiens de but. C’est la première du genre dans la région. Je vais débuter ma troisième saison. Elle est destinée aux expatriés, de 6 à 18 ans, et le but est de former les jeunes talents, de les perfectionner et pour les meilleurs, les envoyer en France, en Europe ou ailleurs. C’est ainsi qu’un de mes jeunes signa la saison passée à Laval. Un autre doit partir à l’essai en août dans un autre club français.

     

    Pourquoi avoir fait ce choix de te rendre dans ce pays, et quelles sont tes conditions de travail ?

    Je suis venu à Dubaï suite à ma dernière saison 2007-2008 à l’OL. J’espérais une aventure à l’étranger. J’attendais une opportunité qui puisse me permettre de continuer ma carrière. Elle ne s’est jamais présentée. Je n’ai eu que des possibilités en France. J’ai attendu l’hiver 2008 puis avec ma famille, on a décidé de venir s’installer ici. Un autre environnement, une autre culture… Ça fait maintenant presque 9 ans, le temps passe… J’ai donc ma propre académie que je gère seul. Et si un jeune gardien montre un réel potentiel, je fais alors intervenir mes nombreux contacts en France ou ailleurs (clubs, agents…) pour obtenir des essais.

     

     

    Où en est le football dans ce pays et sens-tu qu’il y a un développement possible dans les années à venir ?

    C’est un système particulier ici. Le football professionnel pour les Emiratis. Le football amateur pour les expatriés. Avec aucune connexion entre les deux – je manage d’ailleurs une équipe de football amateur -. Donc les Emiratis restent relativement fermés. Il n’y a le droit qu’à trois étrangers par équipe, plus un joueur asiatique. Ils ont des moyens financiers mais pas forcément les connaissances footballistiques. Le niveau reste relativement amateur malgré la venue, parfois, de grands joueurs. Il y a peu de ferveur autour des clubs. Seuls les Emiratis. Les expatriés ne vont pas au stade et préfèrent suivre les championnats étrangers à la télévision. A mon avis, il sera difficile pour les Emirats de hisser le niveau de jeu… Il suffit de suivre les résultats de l’équipe nationale.

     

    Avoir été gardien de but, être aujourd’hui entraîneur des gardiens (toi qui avais commencé à passer tes diplômes alors que tu étais encore joueur)… On peut vraiment parler de passion du poste ? On dit souvent que le gardien de but est un membre à part de l’équipe, un joueur « particulier »…

    Oui, la fameuse famille des gardiens de but… J’ai toujours évolué à ce poste. Aujourd’hui, je partage ma passion et mon expérience avec ces jeunes joueurs. Je me mets à leur disposition pour qu’ils puissent à leur tour connaitre, pourquoi pas, les joies d’une carrière professionnelle. Je continue de vivre ma passion au quotidien, ce qui est un privilège… Lorsque je suis arrivé ici, j’étais le seul entraîneur de gardiens de but dans les académies. Personne ne s’occupait du poste. Aujourd’hui, les mentalités ont tendance à évoluer avec l’arrivée de certains entraîneurs spécifiques dans certaines structures. Mais une fois encore, pour moi, le poste de gardien de but est si spécifique qu’il faut avoir évolué à ce poste pour le faire travailler de la meilleure manière…

     

    On suppose que tu continues de suivre les Girondins de Bordeaux, ton club de cœur. A plusieurs milliers de kilomètres, comment ressens-tu le FCGB aujourd’hui ?

    J’aime ce club, j’aime cette ville, j’aime cette région. J’y ai passé six magnifiques saisons. Donc forcément, je continue de suivre l’évolution du FCGB… C’est difficile de suivre sportivement les grosses écuries telles que le PSG, Monaco, Marseille… Mais le club ‘s’accroche’. Il s’est offert un magnifique bijou avec le nouveau stade Matmut Atlantique, dispose d’un centre d’entrainement exceptionnel, mais ça ne suffit malheureusement pas… L’avenir du club, ce sont avant tout les joueurs qui l’ont entre leurs mains. Entourés du staff. Avec évidemment l’appui des dirigeants, des sponsors et des actionnaires. A un moment donné, si on veut exister dans le football moderne, je pense qu’il faut prendre certains risques… Alors, on continue de sortir de très bons jeunes comme Gaëtan Laborde, Jérôme Prior – même si je regrette la rétrogradation de l’équipe réserve – mais ces talents ont besoin d’être entourés de joueurs chevronnés ou de classe internationale. Le mercato n’est pas fini, attendons de voir, mais ça me parait encore un petit peu juste pour pouvoir titiller les favoris et jouer un rôle intéressant dans ce championnat. J’espère me tromper… J’espère aussi que l’équipe pourra se qualifier et jouer l’Europa Ligue, le club en a besoin.

     

     

    La saison dernière, Bordeaux comptait trois gardiens professionnels pour un même poste (P. Bernardoni, J. Prior et C. Carrasso). Quel a été ton regard sur ces trois gardiens, et penses-tu que la hiérarchie et la logique a été respectée ?

    Pour moi, Cédric était numéro 1… De par ses qualités, son expérience… Puis il y a eu des blessures, Jérôme Prior a eu sa chance mais a eu quelques problèmes disciplinaires, je crois. Ce qui n’est jamais bon, surtout à son âge… Enfin, Paul Bernardoni était arrivé en cours de saison sans avoir réellement sa chance. Trois gardiens de qualité, parfois internationaux, ce n’est pas facile pour un coach… Mais encore une fois, à ce poste, une hiérarchie doit être établie. Un numéro 1, une doublure. Après, c’est le terrain qui décide.

     

    Il y a eu d’ailleurs un choix de fait concernant Cédric Carrasso, qui a été remplacé par Benoit Costil. D’un œil extérieur, penses-tu que le choix a été bon de la part du club ?

    Cédric, c’est le digne successeur d’Ulrich Ramé. Tant par ses qualités sportives qu’humaines. De grands gardiens, de vrais professionnels, des fidèles, des amoureux du club… Cédric voulait rester, le club en a décidé autrement, après huit saisons à défendre la cage girondine… Je crois qu’il faut respecter tant l’amour de Cédric pour le club que le choix des dirigeants. Le club a opté pour l’avenir avec Benoit et un contrat de quatre ans. Encore une fois, il a un profil similaire à ses prédécesseurs. De grandes qualités sportives et des personnalités similaires, je crois. Des garçons expérimentés, talentueux, plutôt calmes en dehors du terrain. Des joueurs avec la tête bien sur les épaules, des internationaux qui apportent leur expérience au groupe girondin. Alors, on peut se dire que c’est regrettable pour Cédric après tout ce que le joueur a apporté au club, mais je crois qu’on peut faire confiance à Benoit pour être le digne de ses prédécesseurs durant les saisons à venir. Benoit est un gardien talentueux, expérimenté, international.

     

    Aujourd’hui, l’on sent que le FCGB est en train de changer : un club plus structuré, avec un nouveau Président, des ambitions élevées, une prise de risques sur certains transferts, etc… Qu’est-ce que cela présage selon toi ?

    Je regrette, déjà, le départ de Jean-Louis (Triaud). Un homme de passion, de cœur, de paroles… Maintenant, les actionnaires veulent faire évoluer les choses apparemment. Tant mieux. Une ville comme Bordeaux se doit d’avoir une équipe de foot de top niveau, européenne au minimum chaque saison. Mais comme je l’ai dit précédemment, il va falloir prendre des risques, oser faire venir des pointures internationales pour épauler les jeunes talents. Le FCGB n’a peut-être pas forcément les mêmes moyens financiers que d’autres écuries du championnat mais dispose pour moi d’autres arguments capables de séduire de très grands joueurs… Une histoire, des infrastructures, une région, des ambitions. J’espère de tout cœur que dans un avenir proche, les Girondins pourront à nouveau jouer les premiers rôles.

     

    D’ailleurs, depuis des années, la rumeur d’un investisseur n’a de cesse de grandir, sans que cela ne se fasse. Il n’y aurait pas de quelqu’un d’intéressé et de sérieux aux Emirats ? 

    Difficile de dire pourquoi aucun investisseur ne souhaite se lancer dans l’aventure bordelaise. C’est pourtant un grand club dans une magnifique région… Je me pose la question. Laissez-moi voir autour de moi (rires)…

     

     

    On ne pouvait pas faire cette interview sans te parler de Dominique Dropsy, disparu le 7 octobre 2015, déjà. On imagine que ça a été un déchirement ?

    Domi, mon Domi… Plus qu’un déchirement. J’ai vécu une période très difficile, à distance, sans pouvoir venir lui dire un dernier adieu. J’ai perdu ce jour-là un membre de ma famille, un Monsieur, comme un second père. C’est toujours aussi difficile pour moi d’évoquer sa mémoire, tant il m’a beaucoup appris… Sur le terrain mais aussi dans la vie de tous les jours. Son expérience, du terrain et de la vie… Il aimait la partager avec ses gardiens, ses ‘enfants’… Six merveilleuses saisons à ses côtés. Ses blagues, ses coups de gueule aussi… Mais très, très rares, juste lorsqu’il le fallait. Un caractère, un charisme, un personnage. Un amoureux de la vie aussi, ses chevaux, ses cigares… Tous ces moments partagés, tard dans la nuit après un match, un dimanche après-midi après un décrassage… Toujours autour d’une bonne bouteille. C’était ça Domi ! Les plaisirs de la vie mais aussi et surtout un grand professionnel… J’en profite pour saluer Suzon, ses enfants et ses proches. Je suis sûr qu’il manque terriblement au club et à l’ensemble des Girondins.

     

    Terminons par tes projets. Quels sont-ils à l’avenir ? Développer encore un peu plus ton académie, faire éclore des joueurs en vue de les amener en France/Europe ? Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

    Je ne me vois pas vivre encore longtemps ici, à Dubaï. On ne vient pas faire sa vie ici. Aux Emirats, on est de passage… Donc il y aura un retour en France, très vraisemblablement à Bordeaux. Je continuerai de vivre ma passion et surtout de la faire partager. Si un club, évidemment, m’ouvre les portes et m’en donne l’opportunité. En attendant, dans un futur proche, c’est continuer de développer l’académie et dénicher des jeunes talents, les perfectionner et les préparer pour la France ou l’Europe. Et puis, depuis la saison passée, il y a mon équipe, les Falcons, avec laquelle nous avons accédés à la première division amateur. Donc l’objectif, c’est de maintenir l’équipe au plus haut niveau.

     

    Un très grand merci à Frédéric, qui se montre disponible à chaque fois que l’on fait appel à lui, et qui ne nous déçoit jamais. Pour terminer cette interview, retrouvez ci-dessous plusieurs vidéos du travail de l’ancien gardien des Girondins de Bordeaux, aujourd’hui à Dubaï. Merci encore, Fréd, et bonne continuation !