“On a l’impression que tout est dû”

    Longue interview réalisée par Marius Trésor pour La Voix du Nord. Il évoque le monde du foot en général, ainsi que plusieurs sujets d’actualités, et notamment celui de David Sommeil, auquel il rend visite très régulièrement.

     

     

     

     

    Marius, avez-vous des nouvelles récentes de David Sommeil ?

    « David, je l’ai vu hier (le 15 avril). Il a encore beaucoup de chemin à faire pour retrouver une vie normale. Il est toujours hospitalisé, se déplace lentement. Dans la conversation, il fatigue vite, a des pertes de mémoire. »

     

    Comment vit-il sa situation ?

    « Il se rend compte de son état, a parfois l’impression d’être un poids, même pour sa femme. Et par moments, on le sent ailleurs. Un jour il est radieux, le lendemain ce n’est plus le même. »

     

    Depuis quand le connaissez-vous ?

    « Depuis qu’il est tout petit, en Guadeloupe. Son père était un inconditionnel de la Juventus Sainte-Anne. Il me l’avait amené pour une photo. Quand il a signé à Bordeaux, Clarisse sa femme m’avait ressorti la photo… Les deux ans et demi qu’on a passés ensemble à Bordeaux ont été un grand bonheur. David, c’est quelqu’un qui sourit tout le temps, met de l’ambiance. Quand son accident est arrivé, j’ai réagi comme s’il s’agissait de mon enfant. »

     

    Quel sera l’objectif le 1er juin ?

    « Apporter du réconfort à David et sa famille. Il n’a que 37 ans. Ce match, c’est une très bonne idée. Il y aura un hommage et une fête. Ce sera aussi l’occasion de sensibiliser sur les accidents du sport. Ils sont plutôt rares, mais ce sont des images terribles. Je me souviens de Marc-Vivien Foé. Tu regardes un match et tu vois ce garçon tomber… »

     

    Parlons de vous maintenant. Que faites-vous à Bordeaux ?

    « Je suis au côté de Patrick Battiston, au centre de formation. Je m’occupe de la CFA2. Et en tant que consultant pour la télé du club, j’ai la chance de voir encore quelques grands matchs, comme la saison dernière en Ligue des champions. »

     

    Avez-vous le sentiment d’être le père des footballeurs antillais en équipe de France ?

    « Avant moi, il y avait eu les Martiniquais Daniel Charles-Alfred et Paul Chillan. En ce qui me concerne, il est clair que voir un Antillais capitaine de l’équipe de France a eu un retentissement exceptionnel. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de joueurs de couleur chez les Bleus. Et quand j’ai joué avec Jean-Pierre Adams, on a parlé de “la garde noire”. Après sont arrivés mes copains “Doudou” Janvion, Jacques Zimako, Alain Couriol… Nous avons été les précurseurs. »

     

    Avec vos 65 sélections et vos deux coupes du monde, qu’avez-vous pensé de Knysna ?

    « Je n’ai vraiment pas apprécié. Avec tous nos joueurs d’origine africaine, avoir un tel comportement, alors que pour la première fois une Coupe du monde se disputait sur la terre de nos ancêtres, je n’ai pas supporté. On aurait tous dû être ravis et fiers d’être là-bas, tout faire pour être dans le dernier carré… »

     

    Jouez-vous encore au foot ?

    « Non, je ne peux plus. J’ai été opéré cinq fois du dos, mes genoux sont foutus. Quand les gens me regardent marcher, ils doivent se dire : celui-là va de travers… Sur un terrain, j’ai l’impression d’être un poids mort, alors je m’abstiens. Et en tribunes, je ne supporte pas de ne pas pouvoir jouer… »

     

    Le foot garde-t-il son aura ?

    « Oui, je pense. Il fait encore vendre, même s’il y a de plus en plus de clubs en difficultés financières. Heureusement qu’il existe des milliardaires qui ne savent pas quoi faire de leur argent (rires)… Malgré tout ce qu’on peut dire, le foot intéresse encore et amène beaucoup d’argent. »

     

    En consommez-vous beaucoup ?

    « À la maison, je débranche. Tous les jours, je suis avec les jeunes. Ça me suffit. Je ne sais pas faire comme Jean Fernandez, qui voit tout… À la télé, je regarde le cyclisme, même si son image est écornée. Le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, ça a encore du charme. Et puis, le vélo, c’est le seul sport que je peux encore pratiquer… Je suis aussi le tennis, le rugby, le hand… »

     

    Gardez-vous le contact avec les anciens internationaux ?

    « Gigi (Alain Giresse), je l’ai vu à Lyon en février. Nanard (Lacombe), on s’appelle et on se voit souvent. René Girard aussi, forcément. Patrick Battiston, c’est tous les jours, Jean Tigana aussi… Max Bossis, de temps en temps. »

     

    Et Michel Platini ? Étonné de le voir président de l’UEFA ?

    « Michel, je l’ai vu il n’y a pas longtemps, quand il est passé voir le stade pour l’Euro 2016. Par rapport à son amour pour le foot, c’est tout à fait justifié pour moi de le voir où il est. Il faut que les anciens pros s’investissent. Regardez au Bayern, toutes les stars sont aux commandes ! »

     

    Que vous a apporté le foot ?

    « Des bonheurs de footballeur, bien sûr. Et une reconnaissance. Être footballeur pro donne des avantages. Surtout à Marseille. Quand j’avais une contravention (rires)… Un flic passait tous les lundis : “Avez-vous quelque chose pour moi ?”… »

     

    Que retenir de votre carrière ?

    « Je suis toujours étonné de voir mon nom dans les équipes du siècle, à Bordeaux comme à Marseille. Quand on regarde mon palmarès… On juge mes prestations, c’est bien. Mais quand même, par rapport à Laurent Blanc, champion du monde, qui n’y figure pas… Après il y a des flashs, les buts, le match au Maracana au Brésil (2-2, 1977), la demi-finale en Espagne (1982). Jeannot (Tigana) dit souvent qu’il a l’impression que les gens n’ont retenu que ça. Ça reste dans les mémoires, c’est sûr, la blessure de Patrick (Battiston), l’arbitre qui nous entube… En 1978, il y avait aussi de l’euphorie. Ça faisait douze ans que la France n’était pas allée au Mondial. Pour le reste, je n’ai jamais été carriériste. Mon seul regret, c’est de ne pas être allé au Bayern, un club que j’adore, en 1979. L’OM a bloqué le transfert. »

     

    Qu’est-ce qui a changé ?

    « Dans l’attitude des pros, pas mal de choses. Bon le casque et le portable, de mon temps, ça n’existait pas, alors… Il y avait quand même plus de complicité avec le public. Le huis clos n’existait pas. Il y avait moins de barrières. Les jeunes sont dans un cocon et ils en profitent. À Bordeaux, certains, au club, ne connaissent pas le centre pro. C’est absurde. Le vrai pouvoir aujourd’hui appartient aux joueurs et aux agents. De mon temps, quand Claude Bez disait quelque chose, ça se passait comme ça… Là on entend : “Je veux aller dans un club qui joue la Ligue des champions “. Très bien, eh bien qualifie-toi ! On a l’impression que tout est dû. C’est le problème du foot d’aujourd’hui, avec le manque de fair-play financier. La France perd ses meilleurs joueurs au profit de clubs endettés… »

     

    Quelle image avez-vous du foot dans le Nord ?

    « J’ai toujours adoré venir ici. Avant, on venait trois jours, on se baladait et les gens été très accueillants. À Lens, je me suis régalé. J’ai disputé mon premier match pro à Valenciennes, en novembre 1969. Avec Ajaccio, on avait perdu 2-1. J’étais entré… ailier gauche. »

     

    Lille sera-t-il champion ?

    « C’est le plus constant, le foot déployé, ça attaque, c’est séduisant. Il a son destin entre les mains. »

     

    Et l’équipe de France, que voyez-vous à l’horizon ?

    « On a les moyens de se qualifier pour l’Euro 2012. Après, c’est le Mondial 2014 au Brésil et alors là, ça me ferait vraiment mal que la France n’y soit pas. »