De Tavernost fait le bilan

    Dans un long entretien accordé à Chronofoot,  Nicolas de Tavernost, est revenu en détail sur la situation actuelle du club bordelais. Passé, présent et avenir sont évoqués par l’actionnaire des Girondins de Bordeaux, et notamment le changement qui devra intervenir cet été pour relancer le club.

     

     

    Êtes-vous un actionnaire heureux ?

    Nicolas de Tavernost: Non. Les résultats ne suivent pas et la manière ne suit pas. La place de huitième n’est pas satisfaisante. Nous avons le 4e budget français, donc il n’est pas normal que nous soyons à cette place aujourd’hui. Et puis en ce qui concerne la manière, nous sentons qu’il y a un problème de motivation, de ressort psychologique dans cette équipe qui connaît des vicissitudes depuis un an et demi.

     

    Il y a un an Bordeaux était en quarts de finale de Ligue des Champions et se retrouve aujourd’hui 8e à 11 points d’une place européenne. Comment expliquer cela ?

    Nous étions déjà en perte de vitesse à cette période là. Je ne l’explique pas car 70% de l’équipe est la même. Ce qui m’interpelle, c’est que ça n’a pas commencé avec l’ère Tigana. Cela a démarré en janvier 2010. Ce n’est pas lié aux départs de Gourcuff, Chamakh ou Blanc. Ce n’est pas une explication suffisante. On aurait pu être champion l’année dernière mais nous avons terminé dernier de la deuxième partie de saison 2009/2010 (Bordeaux a fini 15e sur la période des matches retour, ndlr). Il y a une conjonction d’éléments négatifs qui se sont enchaînés et qui provoquent les difficultés actuelles, qui ne sont bien entendu pas réjouissantes. Il faudra qu’à l’intersaison, il y ait des propositions de solutions.

     

    Janvier-Février, c’est exactement le moment où l’on a parlé de Laurent Blanc pour succéder à Raymond Domenech en équipe de France. Est-ce lié selon vous ?

    Je n’en sais rien. Et de toute façon, ça n’a qu’une valeur historique. Ça ne nous a pas fait plaisir. Nous l’avions d’ailleurs dit à la Fédération et nous avons obtenu un dédommagement pour ce fait. Mais on ne va pas refaire l’histoire. Nous sommes dans une situation difficile à Bordeaux avec un problème de motivation sportive, de motivation psychologique, de confiance. Il y a des choses qui ne fonctionnent pas bien. Il va falloir revoir tout ça.

     

    Qui tenez-vous pour principal responsable ? Les joueurs, l’entraîneur, l’actionnaire ?

    On est toujours responsables quand on exerce une responsabilité. En tant que propriétaire, on est bien entendu responsable. L’actionnaire a mis une équipe en place, mais nous n’avons pas fait les choix sportifs, et nous ne jouons pas sur le terrain. Le rôle de l’actionnaire est de se demander si Bordeaux a eu les moyens de ses ambitions. Je crois que oui. Aujourd’hui ne pas battre Arles-Avignon (0-0, ndlr), ce n’est pas une question de moyens. Certes nous ne sommes pas le premier budget de la L1, mais nous avons toujours été clair là-dessus. A Bordeaux, nous n’avons pas les moyens d’avoir le premier budget de la L1, contenu du contexte économique de la ville. Puis, je rappelle qu’une non qualification en Ligue des Champions enlève énormément de recettes. Donc nous ne pouvons pas avoir la même équipe, sauf à risquer une catastrophe financière pour le club.

     

    Nous avons fait l’effort de conserver l’essentiel de l’ossature de l’équipe qui avait été qualifiée en Ligue des Champions. Ce n’est pas dans les moyens financiers qu’il faut chercher les responsabilités. En revanche, c’est surtout dans les choix… Regardez Rennes par exemple : il n’y a pas un salaire qui dépasse les 100 000 euros. Je n’ai pas l’impression que cela les empêche de réaliser une belle saison. Il est trop commode de se servir de la question de moyens comme d’un cache sexe aux difficultés structurelles et psychologiques d’un club et d’une équipe.

     

    Vous dîtes que ce n’est pas la faute de l’actionnaire qui a donné les moyens au club. Ce ne sont ni les joueurs qui sont restés pour la plupart les mêmes. C’est donc un problème de coach ?

    Je n’ai pas dit que ce n’est pas l’actionnaire. Un club c’est plus complexe que cela. Si c’était facile de mettre une seule responsabilité sur quelqu’un, ça se saurait. Je crois que c’est un enchevêtrement de conséquences négatives et au dernier rang desquelles se trouvent les joueurs. Certains ont choisi leur carrière individuelle au détriment de la carrière collective. Et ça j’en suis absolument convaincu.

     

    Vous pensez à qui ?

    Je pense à plusieurs personnes. C’est quelque chose que je n’oublierai pas.

     

    C’est-à-dire que certains pourraient ne pas être libres de quitter le club ou prolonger cet été ?

    (Silence approbateur)

     

    Après le transfert de Yoann Gourcuff pour une somme assez conséquente (26,5 millions d’euros avec bonus, ndlr), pourquoi ne pas avoir réinvesti cet argent pour acheter de nouveaux joueurs ?

    Il y avait un trou à financer. Nous n’avons pas vocation à creuser des trous. C’est déjà une chose d’avoir des résultats sportifs difficiles, mais si ça se double d’une impasse financière considérable, on va à la catastrophe. Il y a une problématique financière dans le football qui s’applique à tout le monde et notamment pour ceux qui ne sont pas qualifiés en Ligue des Champions.

     

    Et si on élargit la question, je pense que le football professionnel en France va connaître de graves désillusions. Nous, nous sommes là pour assurer une pérennité au club. Je pense qu’il y aura de nouvelles difficultés pour beaucoup de clubs et nous devons avoir une politique raisonnable sur la durée, que ça plaise ou non. Je pense que les difficultés actuelles ne sont pas liées à l’argent. La vente de Gourcuff a permis d’assurer un certain nombre de recrutements, réussis ou non. Néanmoins, il faut rester prudent. Certes, Anthony Modeste n’a pas le rendement qu’on souhaiterait, mais j’ai l’intuition que ça va être un grand joueur.

     

    Est-ce suffisant pour aller régulièrement en Ligue des Champions ? Cela ne doit-il pas être l’objectif de Bordeaux à l’image de ce que fait Lyon, par exemple ?

    Déjà, nous n’avons pas la même capacité économique que le club de Lyon. Puis, je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas des difficultés à Lyon.

     

    Ils sont en passe d’être sur le podium de la L1 pour la 13e année consécutive…

    J’imagine que si vous leur dites ça, ils signeraient tout de suite. Puis la situation financière de Lyon n’est pas si facile que l’on veut bien le dire. Notre but c’est d’anticiper. Aujourd’hui, nous vivons une saison difficile, et l’année prochaine aussi sera une saison difficile. Il ne faut pas se le cacher. On ne boxera pas dans la catégorie Ligue des Champions l’année prochaine. Il va falloir reconstruire patiemment.

     

    A l’image de l’OL et de l’OM, Bordeaux va donc faire profil bas lors du prochain mercato ?

    Je vous confirme qu’on fera plutôt confiance à des jeunes. Nous devons rebâtir progressivement le sportif.

     

    Vous n’avez pas peur de frustrer vos supporteurs avec cette politique qui résulte d’une réflexion d’actionnaire et non d’un dirigeant sportif ?

    Je suis le premier à souhaiter des résultats. Mais il n’est pas question de mettre en difficulté M6 parce que des supporteurs veulent Ronaldo. Il y a eu des résultats, il y a deux ans. L’année dernière, il y a eu un quart de finale de C1. Cette année, c’est une saison blanche. Il faut donc repartir de l’avant l’année prochaine. Ce sera une nouvelle vie.

     

    N’est-ce pas aussi un peu le rôle de l’actionnaire de prendre des risques financiers pour que le club puisse atteindre des objectifs élevés ?

    Nous ne sommes pas là pour perdre de l’argent. Nous sommes là pour passer ces caps difficiles. Je rappelle que Bordeaux a été 15e une année (2004-2005, ndlr) puis nous sommes repartis de l’avant. Cette année, c’est M6 qui subventionne Bordeaux. Le club n’aurait pas les recettes suffisantes pour assurer le train de vie du club mais ça ne peut pas être une politique. Un industriel doit permettre au club de fonctionner dans les moments difficiles comme celui-là, mais après c’est au club à se débrouiller. Nous allons l’aider à avoir, je l’espère, un nouveau stade, qui est un instrument indispensable pour faire un football moderne (une décision sera prise en fin d’année pour savoir si le club peut construire sa nouvelle enceinte, ndlr). Ce nouveau stade va coûter une centaine de millions d’euros en risques à M6. Cela ne pourrait pas se faire si M6 n’était pas là, car le club n’en a pas les moyens. Notre rôle, c’est ça. Ce n’est pas de réparer les erreurs de recrutement.

     

    Vous tenez le discours de quelqu’un qui a envie de s’engager sur le très long terme. M6 n’a donc pas l’intention d’abandonner le navire bordelais ?

    (Il coupe) Il faut aussi qu’on ne nous décourage pas ! Je crois que M6 pourrait vivre sans les Girondins, en revanche, je ne crois pas que les Girondins pourraient actuellement vivre sans M6. Nous sommes là pour garder notre sang-froid dans les moments difficiles. Nous sommes les premiers déçus, les premières victimes du manque de ressort de Bordeaux. Quand nous nous sommes engagés, nous avons dépensé beaucoup de temps et d’énergie. C’est pour avoir des résultats, ce n’est pas pour jouer la place de huitième. Je l’ai dit aux joueurs !

     

    Vous leur parlez souvent aux joueurs ?

    Ce n’est pas mon métier. J’ai été le faire une fois pour leur montrer l’insatisfaction de l’actionnaire après notamment le désastre de Lorient (défaite 5-1). Ça a une efficacité limitée, mais ce n’est pas mon job non plus.

     

    Quelles sont vos relations avec Jean-Louis Triaud et Jean Tigana ? J’imagine que vous êtes amenés à discuter avec eux de la politique sportive du club.

    Ce sont des relations de confiance avec Jean-Louis Triaud que je connais depuis 35 ans. Lui aussi souffre beaucoup de cet état de fait.

     

    On l’a senti d’ailleurs très abattu après le match face à Arles-Avignon.

    Abattu, ce n’est pas le genre. Il ne faut pas oublier le contexte. Nous avons une équipe qui ne s’est pas battue devant son public. Que voulez-vous ? Nous sommes en vraie difficulté de ce point de vue là. On ne va pas tout bouleverser à huit journées de la fin. On travaille pour la saison suivante.

     

    Avec le même entraineur ?

    Ce sera au Président Triaud de se décider.

     

    S’il reste que devra-t-il changer ? Son comportement ?

    Je ne pense pas que ce soit une histoire de comportement. Quand il y a une difficulté comme nous la connaissons aujourd’hui, ce n’est pas lié à une seule chose. Il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas. On est donc contraint de changer pas mal d’éléments. Nous travaillons dessus actuellement avec Jean-Louis Triaud.

     

    Vous parlez de changer des éléments. Vous pensez à des joueurs en particulier ?

    Ce n’est pas maintenant que je vais en parler. Mais c’est bien essayé (rires). Il y aura évidemment des changements.

     

    Parmi les changements on pense notamment à Alou Diarra, qui a plusieurs fois exprimé ses envies d’ailleurs. Sera-t-il difficile de le conserver ?

    Souhaitons lui la même motivation avec Bordeaux qu’avec l’équipe de France.

     

    Vous évoquiez la possibilité de ne pas faire plaisir à certains joueurs. Alou Diarra fait partie de ceux-là ?

    Je ne vais pas personnaliser les choses. Mais comme l’a dit très justement Jean-Louis Triaud, le club a une image, une histoire et je ne veux pas que les comportements individuels ternissent cette histoire. C’est très important pour nous qu’il y ait un collectif qui continue de se battre jusqu’à la fin de la saison. Et nous serons très attentifs au comportement et à la motivation de chacun jusqu’à la fin de la saison.

     

    Quel regard portez-vous sur vos deux anciens joueurs Yoann Gourcuff et Marouane Chamakh en difficulté sous leurs nouvelles couleurs ?

    Chacun peut mener sa carrière comme il l’entend. Autant Gourcuff, je lui souhaite le maximum de réussite. C’est un garçon qui a beaucoup apporté à Bordeaux. Je pense aussi que Bordeaux lui a beaucoup apporté. Désormais, il mène sa carrière. Aujourd’hui, c’est un adversaire qui joue à Lyon et on lui souhaite beaucoup de joie en équipe de France. En revanche, Chamakh, ce n’est un secret pour personne que de dire qu’on a été déçus de la façon dont il est parti. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire. Ça a été un grand joueur. Je m’étais même opposé à son transfert à Lyon, quand il avait proposé de le prendre, il y a 4 ans.

     

    Un autre de vos anciens, c’est Laurent Blanc. Est-ce que ce qu’il fait avec les Bleus vous impressionne ?

    Laurent Blanc est quelqu’un d’intelligent. Il a apporté un titre à Bordeaux, et ça, ça ne s’oublie pas. Je ne doutais pas qu’après la phase rocambolesque de la Coupe du monde, il réussisse. Il y avait besoin d’un souffle nouveau. Blanc a de l’autorité et est bien secondé (Jean-Louis Gasset, ancien adjoint de Blanc à Bordeaux, ndlr). Il a des résultats même si tout n’est pas aplani avec l’équipe de France.

     

    Vous aimeriez que d’anciens grands noms de Bordeaux, comme Lizarazu, Dugarry ou même pourquoi pas Zidane s’investissent dans le club ?

    C’est toujours intéressant d’avoir d’anciens joueurs qui s’investissent. Ça fait partie de la culture du club. Ils font partie de l’historique du club. Ils souffrent quand le club n’a pas de bons résultats. C’est déjà beaucoup d’avoir leur soutien moral.

     

    Après plus de 11 ans à la tête du club, quel bilan peut tirer l’actionnaire principal du club (M6 détient 99,6% du club, ndlr) ?

    Le bilan est variable selon la date à laquelle vous posez la question. Le lundi suivant un match nul contre Arles-Avignon, je trouve que c’est très négatif. Si nous gagnons contre Lille (samedi 16 avril, ndlr), passez moi un coup de fil, et je trouverai le bilan plus positif (rires). Nous sommes là pour essayer de construire un club avec un centre de formation, un stade. Nous avons eu deux titres de champions (1999 et 2009). En ce moment, nous ne sommes pas sur une bonne phase sur le plan sportif. Mais nous savions que le football n’était pas une partie de plaisir.

     

    M6 a-t-il des regrets ?

    Non. On ne vit pas avec des regrets. Bordeaux est un beau club. Il faut faire attention. On vit des moments palpitants avec le titre, on vit des moments difficiles aujourd’hui. C’est la loi du genre. Sauf à être un mécène russe, ce que nous ne sommes pas, et encore, c’est très difficile d’avoir des résultats à l’identique tous les ans. Regardez les objectifs de Lyon qui ne sont pas atteints aujourd’hui. On essaye de mettre un peu de professionnalisme dans tout ça.

     

    Enfin, quel est le modèle de développement qui vous plait particulièrement ?

    Le club qui correspond le mieux à ce qu’on souhaite faire, c’est Lille. Et je ne dis pas ça parce que le club est dans une phase ascendante. J’aime bien la façon dont Michel Seydoux mène son projet. Il est parti d’un contexte difficile pour faire son stade, il y est arrivé. Il ne fait pas de bruit médiatiquement. C’est quelqu’un qui inspire beaucoup de respect. Si Lille était champion cette année, cela ferait un beau champion. Je vote Lille… sous réserve que les Girondins battent Lille bien entendu (rires) ! Enfin, j’ajoute que le LOSC n’a réalisé aucun transfert mirobolant pour obtenir la formidable équipe que le club a aujourd’hui (soit les joueurs viennent du centre de formation soit ce sont des transferts ciblés et bien sentis). Ce qui bat en brèche la logique du toujours plus et des moyens pour obtenir une équipe de qualité.